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  • Adieux aux âmes...

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    Ce soir, je lève la tête et je regarde le ciel d'avril... Ce n'est pas pour le regarder par le petit bout de la lorgnette et y découvrir le passage clinquant du train de la modernité, long convoi de soixante satellites Starlink lancés par la société SpaceX d'Elon Musk qui s'apparente plus à une traînée fardée qui pollue la vue de l'horizon spatial, mais pour essayer d'embrasser l'immensité de la voûte céleste tel que les premiers hommes avaient dû le faire, recroquevillés sur eux-mêmes en distinguant subrepticement les effrayants bruits nocturnes de leur prochaine mort. C'est dans cet infini étoilé et incertain qu'a dû commencer à se cristalliser l'idée d'un haut-delà infranchissable pour les vivants, l'idée même d'un voyage interstellaire post-mortem. Les touches successives au clavecin du générique du documentaire sur l'histoire de l'astronomie "Tours du monde, tours du ciel" me reviennent en mémoire et m'enveloppent dans un manteau doucereux de souvenirs. Comme l'image troublante d'un passé révolu, nous montrant certaines étoiles que nous voyons encore malgré leur extinction séculaire, l'image tutélaire de deux hommes me parvient : Michel Serres est mort, mon père est mort. Les deux étaient nés dans les années 30 et étaient très cultivés, mais la comparaison s'arrête là: l'un portait sa vie et sa vieillesse comme un jeune homme que tout émerveillait encore et qui prêchait par son expérience la vulgarisation scientifique, l'autre portait sa vieillesse depuis toujours comme un fardeau néo-chrétien qui avait l'amertume d'une vie passée à côté, sans jamais avoir eu l'occasion de la saisir à pleines mains, alors que s'il avait chassé ses nuages intérieurs, il aurait vu qu'il était le plus heureux des hommes. Certains êtres sont nés pour être heureux, d'autres sont nés pour fuir le bonheur alors qu'il est là, à leur portée et qu'ils peuvent en faire bénéficier leurs proches. Georges Delerue a écrit la musique du Mépris, mon père en a joué les morceaux quotidiens, au point que je lui ai renvoyé et que le dialogue entre nous s'est tari, faute de compréhension mutuelle. Le mépris et la pitié se mêlèrent peu à peu et je sus que nous ne pourrions jamais recommencer une relation sur des bases stables et nettoyées de nos non-dits ombrageux. Il est mort sans que je lui dise ce que je ressentais, sans que je lui dise que je le détestais, sans que je lui dise que je l'aimais malgré tout. Il a brûlé sa dernière cartouche en s'embarquant sur le Styx de sa mythologie grecque, oublieux de sa propre souffrance de vivre. Certains attendent la mort comme une délivrance qui ne peut en aucun cas en être une... La musique sereine et tintinnabulante de Georges Delerue clôt ce chapitre astrophysique et métaphysique de "Tours du monde, tours du ciel" comme un tableau de Georges De la Tour parachevant le triste portrait en clair-obscur d'un deuil qui souffle sur la fragile flamme de notre vie ou qui tire sa dernière cartouche.

     

    Doriane Purple