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Littérature

  • Profession de foi d’une prose prosaïque

    Aux albatros aux ailes de géant les empêchant de marcher…
    A ces princes des nuées qui hantent la tempête et se rient de l’archer…

     

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    Je ne veux point être un de ces Icare qui, par leur fierté effrénée, s’envolent et s’en vont tenter, par leur poétique talent, de côtoyer les dieux immortels, juchés haut sur leur estrade olympienne à jamais inaccessible, risquant ainsi de brûler au Soleil rougeoyant de la gloire fugitive, leurs ailes fragiles pincées de cire illusoirement solide d’abeilles éphémères. Je ne serai jamais l’un de ces Phaéton réclamant à grands cris à leur père Hélios de saisir les rênes de son char flamboyant et ne sachant pas, par leur inexpérience juvénile et par leur trop plein d’enthousiasme, guider l’attelage divin, embrasant alors les cieux, puis la Terre avant, enfin, d’être foudroyés par Zeus arrêtant alors leur catastrophe nucléaire. Il y a bien trop de risques à vouloir se prétendre un dieu. Parfois je l’admets, on le devient à force d’y croire, à force d’y travailler... Mais on le devient toujours dans l’ombre de ces dieux premiers, écrasé par leurs fabuleux exploits passés.
     
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    Dans le crépuscule agité, rougeoyant sombrement, je ne suis moi, qu’un malingre être vivant à moitié dans l’ombre déjà sélénite, frôlé quelquefois par les rayons fantomatiques de ce soleil des loups. Et quand vient le soir, pour qu'un ciel flamboie, le rouge et le noir ne s'épousent-ils pas ?
     
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    Je ne suis qu’un vil et sombre corbeau, perché fébrilement sur un arbre rabougri, desséché, ténébreux, guettant de ses yeux rétrécis et froids, semblables à ceux du fin goupil, la morne plaine napoléonienne d’un lointain Victor, qui m’entoure, résultat de mon bannissement indéfini pour l’expiation de mes châtiments. Car ainsi est mon âme, elle n’est faite que de petits riens, qui se résument à un grand néant. Je ne suis qu’une vulgaire corneille qui boit l’eau de la fontaine du haut d’une racine de la bruyère. Ce ne sont pas quarante siècles qui me contemplent, voire vingt ou encore trois. Aucun temps ne se meut en contemplation à mon sujet. Je ne suis qu’une serre crochue… noire et sale qui trépigne et qui se complaît dans la noirceur des ténèbres terrestres.
     
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    Je me repais et me sustente de l’indicible neurasthénie des cadavres gisants du passé : de-ci, un globe oculaire ayant effleuré les fleurs du mal d’un paysage dantesque, de-là un doigt ayant touché la grâce d’une peau d’albâtre, de-ci, encore, un poing tendu vers les cieux impudiques, frôlant le tragique, de-là, ensuite, un cœur trempé d’un sang jailli d’une passion platonique et inhumaine, tout près d’un foie baignant dans une cirrhose sirupeuse d’excès de traces d’alcool apollinairien.
     
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    Ci-gisent les restes ensanglantés et putrides de ma mémoire exsangue de vitalité. Je me complets dans ces lits mortuaires, dans ces suaires tâchés par les blessures de l’âme, dans ces cauchemardesques sommeils agités et sombrement nocturnes. Des visions atrocement souterraines éclairent mon inspiration d’éclairs noirs qui vrillent mon cerveau, vibrant alors dans de folles contorsions lucifériennes. Parfois, je m’envole d’une aile menaçante aux mauvaises augures sur ces vastes terres désolées qui, tout à la fois, m’effraient et me consolent dans leur immobilité morbide. J’erre, tel une âme en peine, à ras du sol fangeux, chevauchant un vent glacé, accompagné par les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse, inhalant maladivement les râles et les exhalaisons méphitiques de ces charognes décomposées et inspiratrices de mémorial et enfin, en retrouvant mon arbre immonde, je gratte d’une serre malhabile sur son écorce pourrie des hiéroglyphes sibyllines, s’entremêlant et parachevant la prose maudite et prosaïque de mon troisième testament.
     
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    Ce corvidé de ces corps vidés qui anime notre anima animale n’est point une bête qui nous pousse vers l’avant; bien au contraire, cet archange noir et déchu, nous pousse vers notre propre abîme intime, vers notre propre tombe, glissant dans notre sang sa bile noire. Cette bête immonde et immeuble n’est pas l’Ennui mais le Spleen, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère !
     
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    Doriane Purple



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    Spleen

    Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
        Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
        Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
        Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
       
        Quand la terre est changée en un cachot humide,
        Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
        S'en va battant les murs de son aile timide
        Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
       
        Quand la pluie étalant ses immenses traînées,
        D'une vaste prison imite les barreaux,
        Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
        Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
       
        Des cloches tout à coup sautent avec furie
        Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
        Ainsi que des esprits errants et sans patrie
        Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
       
        - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
        Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
        Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
        Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.


    Baudelaire, Les fleurs du mal LXXVIII
  • Quand la télé invente sa radio...

    "Un monde unpeaceful

    Jeunesse du polygraphe 

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    Vincent Labaume est un polygraphe qui donne de la voix. Déjà auteur d'un "single" néo-debordien, sur ARTE Radio, il se lance dans une série de chroniques narratives, surréalistes et intranquilles. Troisième épisode : notre poète publicitaire se souvient de ses 20 ans compliqués, brouillés par la "kafkaïne" et l'inspiration aléatoire."

    D'après Arte Radio 

  • Clochard céleste...

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    Traversées discontinues, disjointes, intangibles, contiguës et faussement exiguës, des grands espaces américains sur les rails routiers de l'après seconde guerre mondiale, parsemées d'explosions iniques et désinvoltes, de rencontres passagères, d'amitiés passionnelles et destructrices, d'insouciances inquiètes, de recherches mystiques, sous l'influence affichée de la faim tenaillante, du désir juvénile, de l'alcool frelaté, de l'herbe parfumée ou de la benzédrine trafiquée...

     

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    Grands espaces hachés menu à coup d'auto-stops débridés et de style court, incisif, spontané, fuyant au rythme du Be Bop, zigzaguant sur la carte littéraire état-unienne.

     

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    Vie rongée par la funeste, bien que salutaire, ambition de n'avoir aucune ambition d'avenir. Avaleur de bitume cancérigène, de micro-vies instantanées, de sensations brèves et éphémères, l'oeuvre pilier de la beat generation avait été semée par Kerouac pour s'envoler aux vents aléatoires du temps qui passe, mais elle resta plantée et s'enracina si fortement dans l'Histoire des Etats-Unis et du monde occidental en général qu'elle nous recouvre encore de son ombre. Après la génération perdue d'un Francis Scott Fitzgerald, la génération foutue d'un Jack Kerouac s'inscrivit dans le monde social et inhumain de l'Amérique industrialisée de l'après-guerre, dans le beat lancinant et désabusé du monde dit moderne.

     

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    En ce jubilé de la parution de "On the road", adieu donc Sal Paradise, adieu clochard céleste ?... 

     

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    Doriane Purple 

  • Chatoiement...

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    Le chat

    I

    Dans ma cervelle se promène
    Ainsi qu'en son appartement,
    Un beau chat, fort, doux et charmant.
    Quand il miaule, on l'entend à peine,

    Tant son timbre est tendre et discret ;
    Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
    Elle est toujours riche et profonde.
    C'est là son charme et son secret.

    Cette voix, qui perle et qui filtre
    Dans mon fond le plus ténébreux,
    Me remplit comme un vers nombreux
    Et me réjouit comme un philtre.

    Elle endort les plus cruels maux
    Et contient toutes les extases ;
    Pour dire les plus longues phrases,
    Elle n'a pas besoin de mots.

    Non, il n'est pas d'archet qui morde
    Sur mon coeur, parfait instrument,
    Et fasse plus royalement
    Chanter sa plus vibrante corde,

    Que ta voix, chat mystérieux,
    Chat séraphique, chat étrange,
    En qui tout est, comme en un ange,
    Aussi subtil qu'harmonieux !

    II

    De sa fourrure blonde et brune
    Sort un parfum si doux, qu'un soir
    J'en fus embaumé, pour l'avoir
    Caressée une fois, rien qu'une.

    C'est l'esprit familier du lieu ;
    Il juge, il préside, il inspire
    Toutes choses dans son empire ;
    Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

    Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
    Tirés comme par un aimant
    Se retournent docilement
    Et que je regarde en moi-même

    Je vois avec étonnement
    Le feu de ses prunelles pâles,
    Clairs fanaux, vivantes opales,
    Qui me contemplent fixement.

     

    Charles Baudelaire

     

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  • Qui a peur du grand méchant clown ?


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    La musique
     
    La musique souvent me prend comme une mer !
    Vers ma pâle étoile,
    Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
    Je mets à la voile ;

    La poitrine en avant et les poumons gonflés
    Comme de la toile,
    J'escalade le dos des flots amoncelés
    Que la nuit me voile ;

    Je sens vibrer en moi toutes les passions
    D'un vaisseau qui souffre ;
    Le bon vent, la tempête et ses convulsions

    Sur l'immense gouffre
    Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir
    De mon désespoir!

    Charles Baudelaire
     
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  • Ignominieux gnomon !

     

     

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    Ignominieux gnomon qui s'avance dans l'ombre de nos vies...

     

    Le lac

    Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
    Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
    Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
    Jeter l'ancre un seul jour ?

    Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
    Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
    Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
    Où tu la vis s'asseoir !

    Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
    Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
    Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
    Sur ses pieds adorés.

    Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
    On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
    Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
    Tes flots harmonieux.

    Tout à coup des accents inconnus à la terre
    Du rivage charmé frappèrent les échos,
    Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
    Laissa tomber ces mots :

    « Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
    Suspendez votre cours !
    Laissez-nous savourer les rapides délices
    Des plus beaux de nos jours !

    « Assez de malheureux ici-bas vous implorent ;
    Coulez, coulez pour eux ;
    Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
    Oubliez les heureux.

    « Mais je demande en vain quelques moments encore,
    Le temps m'échappe et fuit ;
    Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l'aurore
    Va dissiper la nuit.

    « Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
    Hâtons-nous, jouissons !
    L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
    Il coule, et nous passons ! »

    Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
    Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
    S'envolent loin de nous de la même vitesse
    Que les jours de malheur ?

    Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
    Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
    Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
    Ne nous les rendra plus ?

    Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
    Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
    Parlez : nous rendrez vous ces extases sublimes
    Que vous nous ravissez ?

    Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
    Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
    Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
    Au moins le souvenir !

    Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
    Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
    Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
    Qui pendent sur tes eaux !

    Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
    Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
    Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
    De ses molles clartés !

    Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
    Que les parfums légers de ton air embaumé,
    Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
    Tout dise : « Ils ont aimé ! »

    Alphonse de Lamartine



    L'horloge

    Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
    Dont le doigt nous menace et nous dit : "Souviens-toi !"
    Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi
    Se planteront bientôt comme dans une cible ;

    Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
    Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
    Chaque instant te dévore un morceau du délice
    A chaque homme accordé pour toute sa saison

    Trois mille six cents fois par heure la Seconde
    Chuchote: Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
    D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
    Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

    Remember ! Souviens-toi! Prodigue ! Esto memor !
    ( Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
    Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
    Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

    Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
    Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi,
    Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
    Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide,

    Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
    Où l'auguste Vertu, ton épouse encore vierge,
    Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge! ),
    Où tout te dira : Meurs vieux lâche ! il est trop tard !"

    Charles Baudelaire



    Voilà donc le vrai esclavagiste : le Temps qui passe et qui trépasse, un Cronos triomphant, qui mange ses enfants gloutonnement un par un, sans espoir pour eux d’un Zeus pierreux salvateur et libérateur. Les montres qui sont à nos poignets ne sont-ils pas les fers qui nous enchaînent au Temps omnipotent, possesseur de nos vies et de notre mort commune ? C’est pourquoi le retard est mon perpétuel quotidien. Je prends de l’avance sur mes retards, afin que je puisse être convenablement en retard à mon dernier rendez-vous, id est ma propre mort.
     
     
    Doriane Purple