Portes du passé...
Accolé dans le siège d’un vieux bus scolaire, le corps recroquevillé dans la chaleur flétrie de mon pull, la tête évanouie dans le froid hivernal des paysages qui flottent au delà de ma sensibilité, je m’évanouis d’un sommeil presque maladif dans cette nuit naissante, balloté tout à la fois par le cahot acéré de la route verglacée et par les rumeurs verbales amoindries des conversations intérieures. C’est ma dernière année de lycée, ma dernière année de liberté paradoxale, mon dernier sursis vers cette vie d’adulte si compromettante et si compromise qui me tend les bras à corps perdu. Je sens déjà le poids trop important que tous veulent me faire porter. Je me sens déjà vieux, si vieux devant cet avenir triste et terne, si empreint de compromis et de compromissions, si exigu par son carcan figé de bienséances amidonnées, de faux-semblants édulcorés de sourires de circonstance. Je ne suis pourtant qu’en terminale, mais n’est-ce pas la phase terminale de mon enfance, l’agonie de ma spontanéité, la veillée funèbre de mon enthousiasme ? Des premières discutent devant moi dans la travée d’enfance, ou plutôt d’en face, séparées de moi par une éternité d’une année à peine. La vivacité de l’éclat de leur voix tranche avec l’amertume de mon regard voilé. Ces jeunes filles jettent à ma face ridée leur joie de vivre insane. Elles s’épanchent lassivement sur l’atmosphère magnétique du film The Doors pour lequel elles ont couru vers les salles obscures du silver screen dans un élan juvénile et de manière primordiale éminemment hormonal. Elles ont le film dans la peau, à fleur de peau, sur leur peau au caractère entier. Et moi, à ce moment précis, je ne peux les comprendre… Comment s’enflammer pour une période révolue qu’elles n’ont pas connue, pour un homme bouffi par la drogue et la fatuité de son image criante, pour un art musical sorti d’outre-tombe, pour une figure emblématique qui fait de nouveau surface dans un déballage médiatique équivoque et tapageur… Ce n’est qu’une dizaine d’années après, cheminant moi-même contradictoirement dans le sens contraire du temps, que j’ai compris ces jeunes filles de ma mémoire lycéenne et que j’ai retrouvé mes vrais 17 ans… Et depuis je les cherche chaque jour de ma satanée vie dans les bribes du petit écran…
Perte de gravité...
Dorian(e) Purple