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marylin

  • Story of a girl…

    4 Juin 2007

    Déchirement strident de l’émail blanchâtre de mes dents sur le métal sirupeux de la carcasse aciérée de ma voiture lancée à pleine allure sur l’autoroute mortifère de mes chants du crépuscule. Je m’endors sous la tempête bruitale de l’orage extérieur et sous le déferlement tempétueux de ma rage musicale intérieure. Tout à la fois bon et mauvais présage que cette bassine d’eau dégoulinante aux airs de damnées Danaïdes s’épanchant continûment sur mes lave-glaces et obscurcissant mon avenir au delà de dix mètres ! Cette inclinaison pleureuse des cieux m’invite à me souvenir d’un concert incertain d’un certain Marilyn Manson aux portes grecques d’une Massilia inondée et inabordable, seulement peut-être avec le temps doublée dans ses embruns routiers, et annulé pour cause improbable de maëlstrom cataclismique finalement tombée sur la Montpellier tout à la fois puritaine et estudiantine, il y a déjà presque quatre ans... Adieu cabaret impudique de la faible République de Weimar des années 30 qui fit place aux spectres assassins de la Wehrmacht.

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    Une accalmie dans cette haute mer aux vagues ravageuses. J’aperçois déjà les toits haut dressés de la Lyon tentaculaire et tentatrice, la fin du périple, à moins que ce ne soit le début d’un autre voyage plus lointain, vers ma propre existence qui se dissout dans le flot de mes souvenirs…
    Chants du Crépuscule qui me susurrent jusqu’à la folie leur mélodie entêté et entêtante d’âme damnée à survivre. Lyon tant haïe, Lyon tant aimée, Lyon tant rejetée, Lyon tant vénérée, Lyon tant redoutée, Lyon tant rêvée. Mon pauvre cœur exsangue est resté empalé sur l’autel pourrissant de ma jeunesse folle et de ma passion dévorante.
    Je rentre dans ce cimetière de mon âme et de mon Amour, la bile me remontant dans la gorge. Tout a tellement changé depuis l’aube de ma vie… De nouveaux immeubles étalent leurs flancs juvéniles sortis fraîchement de la Terre, leur mère traîtresse. J’ en crève, j’en vomis mes tripes adipeuses, j’en éclate mes tympans exsangues…
    Après une traversée dans les chemins boueux de cette nouvelle extension urbaine, je m’arrête, à bout de souffle godardien, dans un parking, attenant à d’immondes immeubles de bureaux, maintenant assoupis après la trépignation incessante de la journée affairée et affairiste. Chants du crépuscule incessants, vrillant ma raison déjà déclinante…
    Comme Orphée, je commence ma descente aux Enfers. Mon gardien des mondes souterrains a une double vision comme Cerbère mais s’appelle du nom plus trivial mais plus machiavélique et traîtreusement plus doux de Piňa Colada. Au lieu de s’endormir, c’est lui qui vous endort et vous mène au pays des rêves, à moins que ce ne soit celui des cauchemars… En tout état de cause, je rentre dans une obscurité sensuellement opaque ; en un mot, je suis noir, un ricanement sardonique arboré sur mes lèvres repues de vampire évanescent, auquel les sourires complices et paradoxalement chauds des corbeaux gothiques s’agglutinant autour de l’épicentre réunionité, répondent d’un air entendu. J’erre de ci de là vers la bouche béante de la salle de concert, bouche sombre parmi tant d’autres de mon Enfer personnel, voire personnalisé. Les petits démons raguaillardis de ma jeunesse spectrale m’invitent de leurs petites mains griffus et chaleureuses, sous les feux de la rampe de la mémoire. Je m’engouffre donc sciemment dans mon ma petite mort décidée avec le désintérêt faussement apparent d’un dandy pédant.
    Mon premier geste est bien entendu de me sustenter en boissons alcoolisées grâce  mon maigre pécule à offrir à Charon pour traverser une nouvelle fois le dangereux mais chaleureux Styx. Accoudé au bar du dernier rivage, je fume ma dernière cigarette de condamné à l’échafaud, lorsqu’un vigile hautement vigilant de la salle de concert, tel un requin appâté par l’odeur aquiline du sang, fond sur moi, et m’octroie le devoir impérieux d’éteindre ce sceptre de Dame Mort. Je m’exécute après certainement un regard aussi compatissant que stupide, en écrasant ma cigarette mortuaire sur la paume de ma main en effectuant un va-et-vient efficace, subjectif, provocateur, concupiscent et énergiquement avare, me brûlant la main dans un moindre degré, du fait du geste lui-même et surtout de l’alcool impunément imbibé. Le gardien impassible détale bien vite avec une moue dégoûtée devant cette hystérie faussement collective. Un concert métal où la moindre cigarette à tabac est exclue, voilà bien l’hérésie, l’incurie et l’hypocrisie de notre époque ! Je me dirige donc avec une lenteur affectée vers les toilettes pour profiter de ma substantifique moelle tabagique sans agités du bocal officiels. C’est comme une révélation extatique : je rencontre nombre de philosophes pas du tout âpres aux discussions incongrues sur leur vie routinière, puérile et charmante entre deux taffs de fumées abhorrées. Dans ces émanations urétères, je sens la résurrection prochaine m’éclairer de sa céleste lumière athée… Je quitte ces lieux de transes sexistes et bornées pour rejoindre le flot des condamnés de la nuit. Voilà un rôle paradoxalement gratifiant et humiliant que celui de groupe de première partie de soirée. Personne ne bouge, certains écoutent, beaucoup continuent leur conversation, d’autres encore vont se resservir une verre, histoire de tuer le temps, avant que le temps ne les tue… Moi, j’écoute par décence ou par soûlerie avancée… Je suis calme comme une bombe!

    Les minutes passent interminablement dans cet enfer immobile où l’Autre en est réduit à une ombre hagarde et sans vie. Je me dis  que décidément je suis trop vieux pour ce genre de concert, que je ne comprends plus rien à ce nouvel état d’esprit et que l’on peut me remiser dans un placard. En effet, contrairement à cette jeune marée saumâtre, je n’ai envie que… de sauter, de crier, de pogoter, de bousculer, de pousser, de me faire mal, de faire des headbangings, d’exulter mon énergie, de délirer, de rire, de m’amuser… Mais rien ne se passe, de peur d’être trop décalé, d’être trop âgé… Voilà le véritable Enfer : paraître trop jeune du fait de son âge trop avancé. Dans ce huis-clos faussement sartrien, l'Enfer, c'est bien les autres...

    Alors j’attends, calme comme une bombe à retardement…. Le roi de la nuit s’annonce enfin…
    Une rumeur béate dans la salle m’encourage à ouvrir de façon béante le portail de ma sauvagerie intérieure. Dès l’apparition de l’Antéchrist superstar, les hurlements des loups serviles me portent dans un slam qui s’amplifie au fur et à mesure des instants éphémères qui m’entourent. Je me transforme en un Bugs Bunny rigolard sautillant dangereusement.

     

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    Quatre fausses blondes m’encadrent dans mon envol bruital. Je commence mon petit show en dénonçant de manière faussement puérile et véritablement provocatrice l’absurdité superflue de l’omniprésence commerciale des téléphones portables qui ont alors fait tout à coup leur apparition, en vociférant : « Détruisez ses putains d’insupportables portables ! Quelle obscénité !» " Que se passe-t-il ? Quel est cet homme de l’espace ?" ont dû se dire tous ces visages tragiquement hâves en se retournant vers moi !…

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    Ils n’ont encore rien vu !… Le pogo libérateur s’enclenche enfin. L’obscurité de la salle s’entremêle enfin avec les couleurs chatoyantes des coups de butoir des corps lancés dans l’air. Le maëlstrom traumatique se change en transe alcoolique et fuyante… Les chansons gutturales et gothiques s’enchaînent sur la scène dépouillée sans que je m’aperçoive de ce qui s’y passe. Je suis plongé dans un trauma libérateur. La mise en scène est minimale, voire minimaliste : I don’t care ; mon plaisir est maximal, plein, assouvi, inaltérable. A part deux interruptions surannées, je me complets dans ma danse incertaine et sautillante. L’une tient en substance (non illicite) en un « Qu’est-ce que tu prends pour être dans cet état ? – Uniquement de l’alcool, pourquoi ? » et un violent et hypocrite coup de pied dans les reins qui ne se prononce pas sur son auteur quand je me retourne de rechef.

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    La mise en scène du roi gothique Marylin Manson manque d’énergie et de spontanéité mais je m’en fiche. Nevermind !…. Je trouve un certain plaisir, voire un plaisir certain, dans les corps agglutinées et peureux de la fosse. Le tourbillon de ma folie éphémère et puérile est plein et jouissif. Je virevolte comme un papillon fou dans le crépuscule de sa vie estivale jusqu’à l’épuisement incertain des poussières colorées de ses ailes… Les chansons s’enchaînent les unes après les autres sans que j’en distingue la teneur profonde, tout à ma quête d’oubli alcoolique… L’impression première est pourtant mitigée : je croyais que les peines de cœur étaient porteuses d’inspirations évocatrices. Pauvre petit croque-mitaine Marylin Manson recroquevillé sur une chaise enfantine trop grande pour assumer son talent habituel, absent durant  cette soirée …. Mais je m’en fiche, je me gorge pleinement de l’instant présent à jamais dissolu dans le passé incommensurable ! Oubli, oubli, oubli ! ! !
    Le tour de scène prend fin enfin. Je sors, pas le moins dégrisé, l’alcool, frappant de plus belle mes tempes comme un marteau de forge. Les figures du carnaval faussement macabres s’éparpillent sur le béton de la ville. Je reste seul avec mes pensées clownesquement tristes. J’erre d’abord à pied entre vélibs lyonnais et terrains vagues de mes souvenirs , puis dangereusement au volant déséquilibré de mon automobile hypothétiquement meurtrière vers un but imparfaitement précis : le  VIe  arrondissement, Rue Brotteaux, Rue Anatole France… Terminus de mes égarements. Je suis là, debout, la pluie me dégoulinant sur le visage, devant l’imposante bâtisse de mon passé, devant le véritable prétexte de mon escapade musicale, devant ma plaie ouverte et béante. Je pleure subrepticement sur un mur lépreux pour mieux reprendre courage, peut-être pour mieux, bestialement parlant, conquérir un territoire à jamais perdu. Puis enfin sous les caméras outrageuses et grotesques de mon présent, j’exulte avec un retard inconsidéré ce message intime et unique d’amour et de désespérance que j’aurais dû exclamer quatorze ans plus tôt devant un portail de lycée restant désespérément fermé et hermétique.

     

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    Déchirement strident…
    La personne à qui est destiné  ce message purement puéril n’est pas là, n’est plus là depuis bien longtemps…
    Story of a GirlNostalgia is my favorite song… Mon coeur a du mal à battre...

     
    Doriane Purple