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  • Mite au logis (voire araignée au plafond ?)

     

     

    Au roi Minos, peseur des âmes dans les Enfers d’Hadès : je ne suis que le passeur Charon sur son embarcation funèbre flottant de façon apathique sur le Styx, à défaut de l’Achéron, du Cocyte, du Phlégéton ou même de l’Éridan. Aussi je ne t’apprendrai rien que tu ne saches déjà.

     

    As-tu l’obole pour le voyage ?

    La Mythologie d’Edith Hamilton : un bon début assez exhaustif pour se plonger dans les mythes helléniques :

     

    http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?PRID=284222&OrderInSession=1&Mn=1&SID=37a2948b-fb44-ca3c-8786-6dbd94d9c5e0&TTL=280420062107&Origin=FnacFR&Ra=-1&To=0&Nu=1&UID=0fe90c1a8-7174-e091-3611-48cff8266502&Fr=3

     

    Mythologies, Editions Gründ : un voyage très intéressant de la mythologie de l’Orient (Egypte, Mésopotamie, Assyrie) vers les mythes du Nouveau Monde en faisant escale dans les mondes celtique, viking, germanique, en Asie (Inde, Empire du Milieu, Empire du Soleil Levant), et enfin dans les terres australes de l’Afrique et de l’Océanie.

     

    http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?PRID=1330625&OrderInSession=1&Mn=58&SID=37a2948b-fb44-ca3c-8786-6dbd94d9c5e0&TTL=280420062136&Origin=FnacAff&Ra=-1&To=0&Nu=5&UID=0fe90c1a8-7174-e091-3611-48cff8266502&Fr=0

     

    Les cahiers de Science et Vie d’avril 2006 : en un seul mot excellentissime, sur six héros grecs (Prométhée, Orphée, Œdipe, Thésée, Hercule, Sisyphe) qui enflamment encore notre imagination moderne par leur tragique antique.

    http://www.journaux.fr/revue.php?id=89905

     

    La mythologie grecque et romaine de Rémi Simon : il galvanisera les cieux de vos rêves d’enfant par sa vivacité narrative et par ses illustrations vivantes de ces instants volés à l’éternité du mythe.

    http://bdp.cg02.fr/scripts/opsys.asp?MODULE=3W9501&NOTICE=0039825&ETAPE=E2@1&NUMORDRE=2

    Bien sûr, comment ne pas conseiller de revenir aux sources mêmes de la mythologie grecque ou plutôt des mythologies grecques car elles ne sont pas figées dans le temps de l’Antiquité : l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, Les Travaux et les jours, et Théogonie d’Hésiode, Pindare, Eschyle, Aristophane, Hérodote, Platon pour les auteurs grecs et enfin Les Métamorphoses et les Fastes d’Ovide ou L’Enéide de Virgile pour les auteurs latins que l’on ne trouve pas uniquement dans les bonnes librairies.

     

    Héraclès

    http://www.louvre.fr/llv/dossiers/page_theme.jsp;jsessionid=DksJ5XMFw6m3zNXLrWfkMLS9LSWLXd8gcSdG1rCYWrvTP4ZFMccP!78639621?CONTENT%3C%3Ecnt_id=10134198673226592&CURRENT_LLV_THEME%3C%3Ecnt_id=10134198673226592&CURRENT_LLV_PAGE_THEME%3C%3Ecnt_id=10134198673226595&bmUID=1134865556920

     

    Le Minotaure

    http://www.louvre.fr/llv/dossiers/page_theme.jsp;jsessionid=DksJ5XMFw6m3zNXLrWfkMLS9LSWLXd8gcSdG1rCYWrvTP4ZFMccP!78639621?CONTENT%3C%3Ecnt_id=10134198673226592&CURRENT_LLV_THEME%3C%3Ecnt_id=10134198673226592&CURRENT_LLV_PAGE_THEME%3C%3Ecnt_id=10134198673226597&bmUID=1134865557999

     

    Doriane Purple

  • Critique littéraire, c’est un métier ? …euh : !

    Presque dernières lectures…

    Critique littéraire, c’est un métier ? …euh : !

     

    1 : Ouais… 2 : Pas mal… 3 : Ça va… 4 : Hum… 5 : A lire…

    1 : Alexandre le Grand (Valerio Manfredi) ou le syndrome de l’homme qui court ( ! ?) après ses chimères historiques

    2 : Vingt Ans après (Alexandre Dumas) ou le syndrome de la quarantaine chronologiquement vieillissante

    3 : Beaucoup de bruit pour rien (William Shakespeare) ou le syndrome du silence assourdissant de la franche naïveté de la jeunesse

    4 : Les âmes grises (Philippe Claudel) ou le syndrome du faux conseil d’un vrai ami (ou du vrai conseil d’un faux ami ?)

    5 : Les pirates (Gilles Lapouge) ou le syndrome de l’âme noire sur fond de crâne immaculé

     

                                                                                    

    Doriane Purple

     

  • La Cigale: pour les anciens habitués (Manspach notamment)…

    Des grappes humaines explosent sous l’action d’une main brutale et invisible. Des corps se prennent pour des Supermen décalés, volant au-dessus des trépidations sismiques de la foule hystérique. Sur la piste de danse exigue, un groupe de jeunes excités agite son mal de vivre en se secouant gaiement. Cris vindicatifs des guitares électriques.  Rage de la jeunesse refoulée. Rage de vivre. Rage d'être vivant. Les corps s'extirpent de leur gravité pour mieux voler, fulminer, s'entrechoquer dans un bruit vital. Le maître mot est vie, vie, vie ! ! ! La douleur n'est plus rien, seul le rythme et les décibels à outrance comptent. Les corps et les âmes se fusionnent dans cette musique noisy dans le but de tout oublier. L'oubli, c'est le but récurrent qu'ânonne cette foule de corps tremblants. C'est le leitmotiv plénier. Marée humaine rafraîchissante, basculée de droite à gauche, la vision se limitant à apercevoir des flashs parcellaires, l'esprit se laissant aller à l'oubli total. Sensations intenses et uniques. Quel bonheur d'oublier sa vie, quel bonheur d'oublier sa mort ! Maelström humain, flot de corps à la dérive se portant l'un l'autre un instant, puis se noyant le moment d’après dans un pogo monstrueux : des cheveux tournoyants, des yeux révulsés, des bras inertes, des corps pris de frénésies fiévreuses, des souffles haletants. Saturation du son, bruit confus de luttes amicales, sueur collant les cheveux sur les tempes, sourires crispés sur un solo déchirant de guitares électriques. Regards amusés et voix cassées d’icônes du Rock : Jim Morrison, Michael Hutchence, Kurt Cobain, Chris Cornell, Marilyn Manson…

     

     

     

    La Cigale, boîte sundgauvienne de Magny, cachée dans une ancienne ferme de village, pilotée par Walter, son amène patron et son staff débonnaire, laisse entrevoir cette douce folie. Enfin une boîte où l’on peut se prendre pour un clone déjanté et trash de Zébulon et, dans un énorme tremblement de terre, vomir tripes et boyaux, énergiquement parlant, même si, parfois, sous les coups répétés de l’alcool, la réplique sismique physique, ne tarde pas à suivre…

    Doriane Purple

  • Pour un portable déserteur enterré dans une tranchée et ne répondant plus...

    Des hommes contre

     

     

     

    La Grande Guerre, comme aucune autre, a donné naissance à une production écrite abondante : lettres, journaux, témoignages multiples des poilus ; mais aussi carnets de bord, poèmes et romans de la part d’écrivains qui voulaient rendre compte d’une expérience qui s’est peu à peu transformée en cauchemar.

     

    Alors que Barrès, loin du front, s’extasiait : " Qu’ils sont beaux nos défenseurs dans ces carrières, dans ces trous, [...] couverts de boue, embrassant la terre natale... ", le fantassin Genevoix écrivait : " Ce que nous avons déjà fait... En vérité, c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes. Et nous l’avons fait. " Les écrivains-combattants ont écrit pour rendre compte de l’incompréhensible et pour tenter de le comprendre, balayant les clichés de gloire et d’héroïsme dont l’arrière agrémentait la catastrophe. Ainsi certains témoignages ont-ils été publiés à chaud : Le Feu d’Henri Barbusse, Sous Verdun et Nuits de guerre de Maurice Genevoix en 1916 ; en 1919, Les Croix de bois de Roland Dorgelès. En Allemagne, en 1921, Orages d’acier, le journal de guerre d’Ernst Jünger, puis, en 1929, À l’Ouest, rien de nouveau, d’Erich Maria Remarque, qui fit scandale. En Italie, Emilio Lussu a écrit en 1937 un " roman " intitulé Les Hommes contre, précisant, dans sa préface, qu’il n’avait fait que transposer ses souvenirs de guerre.
    Protagonistes du drame, les écrivains furent donc d’irremplaçables témoins. Et cette tranche d’histoire, séisme historique et culturel, confère à leur témoignage des traits spécifiques : ceux de l’épopée et de la poésie cosmique. Toutefois, excepté Jünger, aucun d’eux n’a exalté l’événement : ils ont voulu au contraire en dénoncer l’horreur.

     

    AUTEURS, ACTEURS ET TÉMOINS

    Tous les auteurs, ou presque, ont adopté le récit à la première personne, garant de la vérité des faits dont ils ont été les témoins et les acteurs. La subjectivité du " je " se double de l’objectivité attachée à la volonté de rendre compte de l’événement vécu. Le récit adopte ainsi simultanément, selon des modalités diverses chez chacun, une distance et une proximité qui impliquent une double lecture, historique et psychologique.

    Le récit de Jünger est strictement autobiographique. Pourtant, il choisit le mode de la narration extérieure : il évoque le décor et les faits sur le même ton descriptif et objectif, juxtaposant ses observations sur l’organisation des tranchées, les actes, la vie et la mort des hommes, lesquels procurent alors l’étrange impression d’appartenir au matériel, au même titre que les autres éléments du dispositif de guerre. Dans Le Feu de Barbusse, le narrateur-témoin et protagoniste des événements a choisi délibérément le rôle de porte-parole de ses camarades, comme le soulignent les passages où il se représente en train d’écrire sous le regard des soldats qui lui demandent de transcrire la vérité des faits. Le même souci d’objectivité et d’authenticité du narrateur-témoin et acteur apparaît dans Les Hommes contre. Barbusse et Lussu mettent tous deux en tableau, au présent d’actualité, dans un effet impressionnant de réalité saisie sur le vif, les scènes spécifiques de la vie quotidienne et dramatique des soldats. Au contraire, la chronique de Maurice Genevoix tire son effet d’authenticité de la subjectivité affichée avec laquelle il raconte, au jour le jour, sa propre histoire, étroitement mêlée à celle des hommes dont il partage la vie. Les romans de Dorgelès et de Remarque, plus lyriques, sont écrits en focalisation interne. Les émotions du narrateur-personnage y colorent toutes les scènes, qu’elles soient banales et familières ou terrifiantes. Dans Les Croix de bois, Dorgelès a adopté un système de narration par dédoublement : Jacques Larcher, le narrateur-personnage effacé, projette sur son héros, Gilbert Demachy, les émotions qui expriment la vérité intérieure des hommes, en particulier cette mélancolie oppressante qui se substitue progressivement à la foi du début. Dans À l’Ouest, rien de nouveau, la vision de la guerre, intériorisée par le narrateur-personnage Baümer, se présente comme l’expression de la révolte de sa génération, le héros faisant étroitement partie d’un groupe de jeunes gens, camarades de classe, victimes des mêmes illusions au moment de leur engagement commun.

    L’effet de vérité résulte par ailleurs du champ de vision réduit qui constitue le cadre spatio-temporel du récit. Les écrivains-témoins ne racontent que les faits vécus dans le cadre étroit qui fut celui de leur expérience propre, sans les situer dans leur ensemble stratégique. Le temps s’écoule au rythme des relèves qui faisaient alterner les périodes en première ligne et celles de repos à l’arrière. Seuls repères géographiques : les noms des villages de l’arrière. L’espace et le temps y semblent donc comme clos dans les limites étroites des tranchées, longuement décrites, labyrinthes précaires et durables.

     

    LA CRUAUTÉ AU QUOTIDIEN

    Héritiers des romans réalistes du XIXe siècle, les écrivains ont reconstruit l’illusion de la réalité en soulignant ses aspects quotidiens. On rencontre des thèmes récurrents dans les divers récits.

    La vie est hantée par la misère matérielle et tous les récits soulignent le retour à des préoccupations élémentaires. Les odeurs sont insupportables, celle de la mort, en particulier, omniprésente dans les tranchées. C’est l’une des premières expériences de Genevoix : " Il faut continuer à les voir, à respirer cette odeur fétide, jusqu’à la nuit. " Les hommes sont asservis à leurs instincts, la nourriture d’abord, le sommeil ensuite, qui souvent manquent et dont la quête remplit le vide des journées. Genevoix, lors d’une manœuvre qu’il fait exécuter sur ordre, commente : " Comme ils sont las ! Leurs corps fléchissent, s’affaissent. Il semble que la terre les attire, les appelle irrésistiblement. Les Éparges, la nuit, les balles, la pluie, la boue, la longue veille... Tant de fatigues ! "

    Le thème de la boue revient sans cesse. Les pluies constantes ont transformé les sols crayeux du front de l’Est en catastrophe permanente pour les soldats dont les tranchées devenaient des cloaques, où l’on s’enlisait jusqu’à la taille, où l’on se noyait.

    Autre fléau quotidien, les poux. Inévitables compagnons des tranchées, ils suscitent toutes sortes de plaintes et de commentaires. Les rats aussi sont légion, qui disputent aux soldats leur nourriture.

     

    La guerre totale

    Il y a eu, en 1 560 jours de guerre, dix millions de morts, presque exclusivement des soldats : deux millions pour l’Allemagne, un million trois cent quatre-vingt-dix-sept mille pour la France, un million huit cent mille pour la Russie, environ huit cent mille pour la Grande-Bretagne. On compte une moyenne de 857 tués par jour pour la France. Lors des batailles les plus violentes, le nombre des morts s’est élevé à dix mille par jour.

    Les progrès technologiques ont " déshumanisé " la guerre. Les soldats se battent contre un ennemi invisible ; ils sont livrés dans l’impuissance totale aux barrages d’artillerie, aux obus de plus en plus puissants et tirés sans relâche qui dévastent en quelques heures le paysage. L’inauguration des gaz, en 1915, à Ypres, sur un front de huit kilomètres, a tué 5 000 hommes et fait quinze mille intoxiqués en quelques heures. Le port du masque à gaz, très pénible, a aggravé considérablement les conditions du combat. Les lance-flammes, dont Hitler fera plus tard un grand éloge parce que " c’est la chose la plus terrifiante qui soit ", projetaient le feu à trente mètres, paralysant l’ennemi. Dans les corps à corps, les matraques, massues et couteaux remplacent la baïonnette, d’un usage malaisé. Enfin, l’abandon des soldats blessés, agonisant devant les tranchées, parce qu’on tire aussi désormais sur les sauveteurs, est l’un des aspects les plus cruels des combats.

    Cette brutalité a eu des conséquences durables. Elle a été à l’origine des progrès du pacifisme, mais elle explique aussi la violence des fascistes, nostalgiques de la violence apprise dans les tranchées.

     

    L’IRRUPTION DE LA GUERRE INDUSTRIELLE

    Mais l’enlisement dans une vie dégradante n’est que le décor d’une peur constante, issue des nouvelles conditions de la guerre industrielle. Les chroniqueurs empruntent à l’épopée les métaphores fantastiques et archaïques qui visent à rendre sensible l’inimaginable.

    La Guerre de 14 a été une guerre de fer et de feu. Jünger, observateur attentif et passionné des tactiques militaires dont il a été un ardent protagoniste, qualifie cette guerre de " guerre de matériel ". Il écrit dans Orages d’acier, à la date du 16 juin 1916 : " Maintenant, c’était la guerre de matériel qui nous attendait, avec son déploiement de moyens titanesques ". Et en effet, le rôle du matériel fut gigantesque, il a entraîné le monde entier dans un conflit apocalyptique dont les fantassins, " chair à canon ", ont été les seuls véritables spectateurs et les martyrs.

    Les romanciers ont décrit avec des métaphores cosmiques l’éblouissant spectacle qui accompagnait les assauts. Lorsqu’ils sont à l’arrière, les soldats sont fascinés par la splendeur nocturne de l’embrasement du front. Jünger, guerrier-poète exalté, a multiplié les tableaux fabuleux du vacillement de l’univers dans la fureur des barrages d’artillerie qui préparent l’assaut. " Un flamboiement bref illumine l’entrée de l’abri, suivi d’un unique rugissement inouï qui en un instant atteint son maximum de force, comme la marche d’un gigantesque moteur dont on ne distingue plus les vibrations isolées. [...] La terre se met à rouler et à tanguer et fait trembler l’abri comme un vaisseau pris dans la tempête. " (Feu et Sang).

    Comme dans les épopées primitives, cet univers cataclysmique s’anime d’une vie désespérée, sauvage et maléfique. Les métaphores animales se multiplient pour décrire la peur qu’inspire le bruit des armes. Remarque décrit le bombardement comme un orage monstrueux, animé d’une force animale et sauvage : " [...] l’air est plein de ruées invisibles, de hurlements, de sifflements et de susurrements ; ce sont des obus de petit calibre. Mais de temps en temps retentit aussi à travers la nuit la voix d’orgue des grandes "caisses à charbon", des projectiles de l’artillerie qui s’en vont tomber loin derrière nous. Ils ont un cri enroué, lointain, bramant comme des cerfs en rut. "

     

    Le cri des poètes

    Les poètes ont été la voix des émotions les plus intimes qu’ont éprouvées tous les poilus face à la mort de leurs camarades. " Toute la terre, l’homme souffre/Et ton sang déchire le sol !... /Ils t’ont laissé au bord d’un gouffre ! " (Éluard, dans Le Devoir, 1916). Ils ont été le regard stupéfait porté sur l’effroyable spectacle offert par l’attaque. Les célèbres poèmes d’Apollinaire, publiés dans Calligrammes, en sont un exemple.

    Ils ont exprimé la conscience humaine, bouleversée par l’horreur banale et continue de la violence absurde. Ainsi, Georg Trakl, poète allemand, dans " Grodek " : " [...] la nuit embrasse/Les guerriers mourants, la plainte sauvage/Leurs bouches brisées. "

    Ils ont crié leur révolte face au mépris dans lequel cette guerre a tenu les vies humaines. Ainsi Erick Mühsam, poète allemand anarchiste, dans " Le chant du soldat " : " Nous avons appris à tenir dans la bataille/dans la tourmente et le brasier d’enfer/Nous avons appris à marcher à la mort/sans nous soucier de notre sang./Et, quand l’arme tournera un jour/contre ceux qui nous ont appris la guerre,/ils n’auront pas en face d’eux des pleutres./Ils ont été bons professeurs. [...] " Cocteau, avec moins de cynisme, mais sur un ton d’ironie noire, évoque dans " Délivrance des âmes " l’incroyable familiarité de la mort dans les tranchées : " Au segment de l’Éclusette/On meurt à merveille./On allait prendre l’air dehors ;/On fumait sa pipe ; on est mort. [...] "

    Le surréalisme est né de la haine de la guerre. En 1921, la manifestation Dada, au cours de laquelle Barrès fut inculpé de " crime contre la sûreté de l’esprit ", symbolise la crise des valeurs nationales qui avaient irrémédiablement brisé la sensibilité des hommes, dont les poètes sont la conscience vive.

     

     

    UN SACRIFICE ABSURDE

    La terre blessée de cette immense tranchée qui s’étend de la Manche à la Suisse, que creusent les hommes face à face, la nuit, et dans laquelle ils s’enterrent le jour, est labourée par les obus, n’offrant plus au regard, après la bataille, qu’un paysage chaotique, celui du début ou de la fin du monde. Faisant le récit de l’assaut sanglant de la crête des Éparges du 17 février 1915, Genevoix écrit : " Les parois des boyaux s’affaissent ; la masse de la colline les happe par-dessous ; toute la colline s’affaisse, se dévore elle-même, se digère. " Puis, lorsque les quelques survivants reprennent conscience peu à peu de la réalité : " On ne sait plus où on en est. Il n’y a plus de terre, ni de ciel, il n’y a toujours qu’une espèce de nuage. "

    Les mêmes hyperboles épiques qui, traditionnellement, tendent à représenter l’impuissance de l’humanité face à la cruauté de l’univers, montrent ici la masse des soldats anéantis par la violence des assauts. Sacrifiés à cet affrontement titanesque, les fantassins ne sont qu’un immense troupeau errant d’êtres préhistoriques, livrés en holocauste à des ennemis invisibles, soumis à une volonté inflexible. L’ouverture du roman de Giono, Le Grand Troupeau, inspiré par la Grande Guerre, décrit l’immense mouvement des hordes de moutons qui, abandonnés par les bergers mobilisés, traversent en masse la montagne et les villages désertés. Métaphore archaïque et moderne, cette image suggère les errances des armées de fantassins à travers des régions dévastées, vers des destinations improbables, dont la seule qui soit promise et qui les obsède est celle du feu et de la mort.

    Dorgelès a raconté le cauchemar des soldats, terrés pendant trois jours d’un violent bombardement dans un cimetière, réfugiés dans les tombes, se protégeant avec le bois des cercueils. Le grouillement des soldats, dans les tranchées, rappelle les légendes mythologiques les plus anciennes, selon lesquelles les hommes seraient sortis tout casqués des entrailles de la terre. Genevoix, dans La Boue, décrit une relève nocturne : " D’autres hommes viennent de surgir, sortis nous ne savons d’où. J’avance un peu : à la place des sapins, il y a un talus à pic. C’est de là-dessous que sortent les hommes. Et là-dessous, disparaissent les nôtres, dans des terriers creusés là, des espèces de niches dont la bouche souffle une nuée fétide. " Ce sont enfin les cadavres que la terre charrie incessamment : " Un obus enterre le cadavre de Laviolette, un autre le déterre et le montre tel qu’il était, sa main morte dans la moufle bleue, au-dessus de la tête cachée au creux du bras. "

     

    L’HORREUR DE l’ASSAUT ET DU CHAMP DE BATAILLE

    La structure narrative contribue à la dramatisation épique du récit. Les scènes d’assaut sont les points culminants des chroniques organisées autour de ce formidable affrontement, où se concentre en un moment d’épouvante la rencontre des hommes et du feu des obus, incroyable et pourtant véritable aventure de cette masse d’hommes, dont le destin était fixé là. Le dispositif, invariable, met en scène le barrage d’artillerie qui prépare la sortie des fantassins, recroquevillés dans leur tranchée sous le feu qu’ils doivent affronter à l’heure H. La terreur qui les paralyse, le silence qui envahit la tranchée lorsque l’ordre de l’assaut a été donné et que les soldats attendent le signal du départ est, selon Lussu, " le plus terrible ". Il ajoute : " L’assaut ? Où allait-on ? On quittait les abris et on sortait. Où ? Couchées sur le ventre, bourrées de cartouches, les mitrailleuses au grand complet nous attendaient. Qui n’a pas connu ces instants n’a pas connu la guerre. " Il évoque ensuite la métamorphose des hommes, littéralement effacés par la peur : " La 9e compagnie était debout, mais je ne la voyais pas entièrement tant elle était collée aux parapets de la tranchée. " Genevoix décrit le silence fantomatique qui pèse sur la compagnie quelques minutes avant la bataille puis il observe la résignation de ses hommes : " Je les vois, dit-il, amassés dans les creux de la terre, serrés les uns contre les autres, ne faisant plus qu’un seul grand corps déjà blessé, déjà saignant de mutilations aveuglantes... ".

    Les métaphores de la violence confèrent aux récits de bataille un caractère hallucinatoire. Les auteurs multiplient les scènes de corps en morceaux, explosant avec les bombes, où les soldats se jettent dans une fournaise de feu, de sang, de cadavres. C’est alors une force primitive, archaïque qui semble les pousser dans la mêlée. Les écrivains l’ont vécue, et analysée avec stupéfaction. Jünger en particulier qui paraît fasciné par les énergies mystérieuses qui métamorphosent l’homme en guerrier au moment de la bataille, mais aussi Genevoix, Barbusse, Remarque, tous ont décrit cette ivresse inconnue qui s’empare des hommes au cœur du " chaudron rugissant " (Jünger). Jünger affirme, à la veille de la grande offensive de la Somme : " Nous sentîmes alors que la volonté d’offensive suscite des forces inconnues. " Barbusse montre, après la peur précédant l’assaut, la sauvagerie qui emporte les hommes à travers le barrage, " ce tourbillon de flammes ", et qui leur fait piétiner les cadavres ensanglantés de leurs camarades, au mépris des supplications des blessés. Il décrit les bonds, le regard fixe, " les rugissements ", la folie qui enlève les combattants à eux-mêmes et à l’horreur du massacre, pour les porter jusqu’à la tranchée allemande. Il conclut : " J’entrevois – le temps d’un éclair – toute une rangée de démons noirs, se baissant et s’accroupissant pour descendre, sur le faîte du talus, au bord du piège noir. "

    À cette folie meurtrière correspond l’ivresse des survivants. Exsangues, harassés, couverts de boue, ils éprouvent une gaieté irrationnelle. Barbusse exprime sa stupéfaction lors du retour de sections décimées au cantonnement : " Au milieu de ces soldats, qui reviennent de ces bas-fonds épouvantables, c’est un vacarme assourdissant. Ils parlent tous à la fois, très fort, en gesticulant, rient et chantent. "

     

    Lettres du front

    Au front [...], je n’ai pas écrit. Je laissais ça à mes hommes qui n’arrêtaient pas de pondre, pondre, pondre, écrivant à leurs femmes : mère, épouse, sœur, fiancée, amie, maîtresse, flirt, copine, rencontre, demoiselle de magasin ou serveuse de café et, à la dernière, cette nouvelle venue, la marraine de guerre, ce beau mensonge issu du cafard ou qui, peut-être, l’engendra. " (Blaise Cendrars, La Main coupée).
    Les lettres furent le lien le plus précieux des soldats avec la vie. Elles leur ont permis de " tenir ". Après une période de deux mois au début de la guerre, où elles ne furent pas distribuées, la correspondance devint une préoccupation quotidienne. Dans les tranchées, les soldats peuvent écrire une lettre par jour et parfois plus. Elles constituent, avec les journaux intimes et carnets de guerre écrits au jour le jour, une masse considérable de documents. Elles sont cependant soumises à la censure militaire, qui retenait les lettres pacifistes ou révolutionnaires, et à l’autocensure des fantassins qui ne voulaient pas inquiéter leurs familles.
    Ces lettres ont permis aussi aux militaires de protester contre la propagande. Un exemple, souvent rapporté par les historiens : l’état-major de la 5e armée ayant cru bon d’adresser un rapport optimiste sur l’état des troupes pendant l’hiver 1915, au Chemin des Dames, un article parut dans un grand quotidien parisien qui rendait public le " bonheur idyllique " des poilus. Deux cent mille lettres d’injures furent adressées au journal en trois jours.
    R. G. Nobécourt, historien et ancien combattant, évoque l’exaspération des soldats lorsque Maurice Barrès exaltait dans la presse le héros-guerrier : " ... le soldat semble une figure sans âge, éternelle, chargée de tout le passé et de qui dépend l’avenir, une jeune divinité. " L’historien souligne, lui, la lassitude des soldats et leur silence. Leurs lettres furent leur indispensable poésie quotidienne ; elles ne furent pas les interprètes de leur héroïsme.

     

    LE TRAGIQUE DE LA CONDITION HUMAINE

    Les écrivains combattants ont été la conscience et la voix des hommes dont ils ont partagé la vie. Ils ont dit en leur nom ce que tous, intellectuels ou hommes du peuple, ont compris dans l’incompréhensible chaos dont ils ont été les martyrs : que cette guerre était absurde et que l’histoire se dévorait elle-même en sacrifiant son peuple.
    Chez les intellectuels, mobilisés ou engagés, le choix de rejoindre le corps des fantassins a été souvent le fait d’une conviction personnelle. La défense de la patrie ou l’aventure étaient les dieux de cette épopée contemporaine. Mais la transformation de la guerre de mouvement, qui devait être une guerre-éclair, en une interminable guerre de positions, devenue peu à peu un mode de vie sans issue vraisemblable, a transformé cette aventure héroïque en un roman d’éducation amer et souvent désespéré. Cette guerre a amené à la conscience de cette génération d’hommes le sentiment tragique de la condition humaine. Pour eux, le destin a pris peu à peu les traits monstrueux de l’absurde.

    D’abord, le réalisme impitoyable avec lequel les écrivains ont évoqué l’extermination des soldats communique au lecteur la terreur à laquelle ils ont dû s’habituer. La banalité de la mort, devenue compagne quotidienne, l’horreur familière des corps déchiquetés et abandonnés sans espoir de sépulture sur le champ de bataille, les défilés des blessés, leurs plaintes nocturnes devant les tranchées, la liste interminable des camarades disparus au cours de l’assaut, dont on récapitule les noms et dont on n’a pas le temps d’évoquer la mémoire parce qu’il faut combattre encore, telle est l’atmosphère dans laquelle les fantassins ont respiré pendant quatre ans. Les grandes scènes des champs de bataille après l’assaut sont insoutenables. Barbusse, à l’aube, reprenant conscience, découvre peu à peu les corps mêlés à la boue, les masses des noyés, " bonshommes en baudruche ", les corps affreusement mutilés, les membres dispersés. Et la folie menace ceux qui ne peuvent s’habituer au massacre. Jünger lui-même se sent subitement saisi d’épouvante : " C’en est trop ! Je m’élance et cours follement dans l’obscurité, fonce à travers les entonnoirs et culbute par-dessus les tranchées comme si j’avais Satan aux trousses. "

    Ces hommes condamnés à fréquenter la mort violente et quotidienne se savent eux aussi condamnés à mort. La fatalité les conduit à des actes de désespoir. Lussu raconte le suicide de deux hommes qui retournent leur arme contre eux-mêmes au moment de la sortie des tranchées pour l’assaut. La mort cerne les soldats : ils sont décimés par la bataille, mais aussi par la dysenterie, le typhus. Ils risquent aussi, s’ils tentent d’échapper aux ordres, le Conseil de guerre et le peloton d’exécution. Barbusse, Remarque et Genevoix évoquent de telles sanctions.

    Mais souvent, ce qui envahit la conscience du témoin de l’horreur, c’est une maladie plus pernicieuse, plus grave parce que sans issue elle aussi, c’est l’indifférence. Genevoix note ainsi, après le massacre de sa compagnie : " Ce n’est pas de ma faute : cette indifférence est sur moi, tombée sur moi je ne sais d’où, mais tangible et réelle comme des bras qui m’envelopperaient. " Et ce qu’il éprouve, il sait que ses hommes le ressentent aussi.

    Le désabusement surgit lorsqu’ils prennent conscience de l’absurdité de leur rôle. Que peuvent en effet signifier la patrie, l’aventure, l’héroïsme même, dans la fournaise des mitrailleuses ? Le seul dieu de la guerre est un monstre froid : la guerre de matériel est un engrenage implacable. " Feux roulants, tir de barrage, rideau de feu, mines, gaz, mitrailleuses, grenades, ce sont là des mots, des mots, mais ils renferment toute l’horreur du monde ", écrit Remarque. À la fin du récit, il évoque les nouveaux monstres, les tanks, et il exprime l’impuissance des soldats : " ... ces tanks sont des machines, leurs chenilles sont infinies, comme la guerre ; elles apportent la destruction, lorsque impassiblement elles descendent dans les entonnoirs et en ressortent sans s’arrêter, véritable flotte mugissante et crachant la fumée, bêtes d’acier invulnérables écrasant les morts et les blessés. "

    Seul Jünger a exalté cette guerre industrielle, il en a décrit les dispositifs, la perfection technique et scientifique, la puissance du " souffle incandescent mécanique de la mort " qui s’était manifesté pour la première fois à Verdun, avec une ampleur jamais vue. Il constate que " l’ère de la domination de la machine sur l’homme, du valet sur le maître devient évidente ". Ici, dit-il, " le style d’une génération matérialiste et technique fête son triomphe sanglant " (Feu et Sang). Il en conclut que c’est le devoir de l’homme d’affronter ce nouveau visage du destin que la société contemporaine a édifié et dont il est membre.

     

    HARO SUR LES CHEFS ET LES EMBUSQUÉS

    Pourtant, les responsables du massacre prennent, dans la conscience du peuple des soldats dont les écrivains sont les interprètes, des traits sensibles. Ce sont ceux de gens de l’arrière : les hommes politiques et les chefs d’état-major, dont les mots d’ordre, " patrie " ou " ennemis héréditaires ", paraissent de plus en plus obscurs, vains et falsificateurs, au fur et à mesure que les hécatombes se répètent et se multiplient sans que personne ne sache pourquoi on se bat. Genevoix souligne cette lucidité des hommes concernant l’incohérence des décisions militaires. Il pointe les ambitions personnelles qui seules les expliquent : " La guerre... Tant d’appétits, d’ambitions, de rivalités mesquines, rêves de galons, de médailles ou de croix, affaires louches, entreprises froidement calculées, plus redoutables et meurtrières à mesure qu’on s’éloigne du rang... ". Lussu dénonce la folie meurtrière des officiers, prodigues de la vie des hommes. Il montre la révolte des soldats pour qui l’ennemi principal est le colonel : ils finissent par tourner leurs armes contre leurs chefs. Les responsables sont aussi, aux yeux de Remarque en particulier, les adultes, maîtres et parents, qui ont poussé délibérément la jeune génération au martyre.

    Ce sont également, aux yeux de tous, les embusqués, bureaucrates, industriels et trafiquants, qui s’enrichissent en fabriquant du matériel de mauvaise qualité – les obus éclatent dans les canons et tuent les artilleurs. Il y a aussi les villageois qui s’enrichissent au marché noir aux dépens du poilu. En première ligne, asservis à une vie archaïque et à la volonté de chefs invisibles, jetés contre un ennemi invisible dans l’enfer du feu, les soldats de la Guerre de 14 vivent, impuissants, la trahison de la société pour laquelle ils meurent.

    Les écrivains analysent l’engrenage de la guerre et leur expérience fait surgir de nouvelles questions. La prise de conscience de la fragilité de l’existence engendre une mélancolie qui accompagnera nombre de survivants jusqu’au nouveau conflit de 1939. Beaucoup auront le sentiment de n’avoir vécu qu’une trêve, et les historiens parlent d’une guerre de trente ans. Bernanos écrit, au début des Enfants humiliés : " Nous retournons dans la guerre comme dans la maison de notre jeunesse. " Aurélien, personnage éponyme du roman d’Aragon, souffre après la guerre d’une veulerie dont seule celle de 39 le secouera. Remarque commente ainsi cette blessure incurable dans l’âme des combattants : " Pendant des années nous n’avons été occupés qu’à tuer ; ç’a été là notre première profession dans l’existence. Notre science de la vie se réduit à la mort. Qu’arrivera-t-il donc après cela ? Et que deviendrons-nous ? "

     

    L’argot des tranchées

    Les circonstances et l’imagination populaire nous ont laissé en héritage un vocabulaire abondant.
    Poilu, hérité du lexique de la Grande Armée : " le brave à trois poils ", est apparu pendant l’hiver 1914-1915, le plus pénible. Les barbes se multiplièrent chez les soldats du front et devinrent l’emblème du vrai combattant. Elles disparurent par la suite, du fait des masques à gaz et de l’amélioration de l’hygiène, mais le mot resta, chargé de sa connotation héroïque et familière. On lit dans Le Figaro en 1915 : " [...] La Parisienne la plus fine n’hésite pas à dire Mon poilu en parlant d’un époux ou d’un frère qui est au front, même s’il se rase chaque jour. Acceptons donc ce mot de poilu : il est entré dans l’Histoire. "

    Boche, pour désigner l’ennemi, dérivait d’Alboche, vieux mot pour Allemand. D’abord péjoratif, il perdit de sa virulence, jusqu’à acquérir une relative neutralité. On le trouve même, entre 1914 et 1918, dans les documents d’état-major. Les Allemands, quant à eux, désignaient les Français par le mot péjoratif de " Schangels ", déformation de " Jean ".

    Pinard, emprunté au dialecte bourguignon, dérive de " pinot " qui désigne un vin de mauvaise qualité. Le degré atteint dans la médiocrité de l’indispensable boisson s’exprimait à travers une série de mots : le picolo, le brutal, l’électrique, le picrate. La gniole venait du patois champenois, la barbaque, pour la viande, est un emprunt au vieux vocabulaire de la boucherie.

    Le matériel militaire a également stimulé l’invention verbale.

    Le sac s’appelait l’as de carreau, la baïonnette reçut le gracieux prénom de Rosalie. Les grosses bombes allemandes, les " minenwerfer ", qui effrayèrent tant les fantassins lors de leurs premières explosions en 1914, étaient appelées seaux à charbon ou tuyaux de poêle.

     

    LA FRATERNITÉ ENVERS ET CONTRE TOUT

    Cependant, à cette conscience de leur solitude face au monde, les soldats donnent des réponses nouvelles. Ils découvrent la fraternité et ils redécouvrent leur appartenance à la nature. La fraternité est le grand enseignement des romans de guerre. Une profonde solidarité se noue entre les hommes d’une même tranchée, d’une même compagnie, entre les gradés et les simples soldats qui partagent les mêmes épreuves. Ainsi Dorgelès souligne-t-il l’effacement des distances entre des hommes de condition différente. L’amitié entre Genevoix, officier, et son ordonnance Pannechon, est exemplaire. Mais la fraternité, c’est celle aussi qui se crée avec les ennemis, embusqués dans leurs tranchées, à quelques mètres les uns des autres. Malgré les interdictions, nombreux ont été les échanges dont on lit çà et là de brefs épisodes. Enfin, la fraternité universelle, c’est l’espoir qui naît dans ces récits : que cette guerre soit la dernière.

    Une autre révélation est donnée aux hommes qui pendant quatre ans ont vécu sous la terre mais aussi en plein ciel. Ils ont éprouvé la beauté de l’univers et l’harmonie entre leur propre vie et celle de la nature. Les récits de guerre offrent de nombreux passages contemplatifs : la lumière de l’aube ou les couchers de soleil, la vie frémissante des forêts que les obus saccagent, l’espace illimité du ciel sont des refuges et des signes que l’univers leur donne du triomphe de la vie. Genevoix décrit la paix et l’ardeur juvénile qui l’envahissent dans la nuit " vaste et très calme " après la bataille. " La vie est belle, dit Porchon. Les paroles se pressent à nos lèvres. Nous cédons à un commun besoin d’exprimer notre joie en même temps que nos yeux l’épuisent. Peut-être, redevenus primitifs, tous nos sens rénovés par tant de lumière et d’espace, laissons-nous seulement chanter nos âmes de jeunes barbares. "

    La même onde mystérieuse que les hommes se communiquent entre eux dans la fraternité des tranchées se communique donc aussi de l’air, de l’eau et de la terre aux hommes. Ainsi, en contrepoint de l’expérience dégradante du retour à une vie archaïque, se donne cette précieuse expérience de l’unité cosmique dont l’homme n’est qu’un élément.

    Les romanciers et chroniqueurs de la Grande Guerre, s’ils ont eu l’illusion d’avoir à vivre une aventure lorsqu’ils sont partis " la fleur au fusil " en 1914, font tous le bilan amer, à travers leurs chroniques ou leurs romans issus de l’expérience, de l’imposture dont ils ont été les dupes. Leur prise de conscience paraît, selon la forme qu’a prise le récit, parfois progressive, parfois acquise d’emblée. Elle conduit les écrivains à une condamnation sans appel de la guerre, dégradante physiquement et moralement pour les hommes à qui on l’a infligée. De ces récits émergent de nouvelles valeurs, nées de la clairvoyance : celle du respect des hommes, dont l’héroïsme ne s’est pas manifesté dans l’ardeur guerrière, mais dans la résistance fraternelle à la souffrance et à la mort.

     

    D’après CLAIRE CAILLAUD, www.cndp.fr/revuetdc/

     

     

  • Soyons plus précis dans le récit...

    Massello

    Superficie : 38,80 Km2
    Altitude : 1.195 m (chef-lieu)
    Hauteur minimale : 1.063 m
    Hauteur maximale : 3.037 m
    Distance de Turin : 71 Km
    Densité : 2,1 habitants/km2

    Massello occupe la partie nord occidentale du Val Germanasca ou de Saint Martin. De forme presque triangulaire, ses angles extrêmes sont dessinés par : le Bucìe (2.998 m) vers le sud, le Grammuel (2.977 m) vers le nord, le débouché du Germanasca dans le Chisone, entre Pomaretto et Perosa Argentina, vers l'est.

    La commune de Massello est limitée à occident par la commune de Pragelato, au nord par celles de Fenestrelle et de Roure, à l'est par celle de Perrero et au sud par celles de Salza et de Prali.

    Le Vallon est parcouru par le Germanasca de Massello, qui jaillit des sources situées sous le Col du Pis et qui, à une altitude de 2.000 m, forme la belle cascade du Pis puis qui, arrivé à la vallée, se jette dans le Germanasca de Prali, un peu avant le bourg de Perrero.

    Trois vallons latéraux s'ouvrent sur le vallon principal: sur la droite hydrographique, aux alentours de Balziglia, le vallon de Ghinivert, sur la gauche, entre les bourgades de Gros et de Petit Passet, le vallon du Rabiur, puis celui de Culmian entre les bourgades Raynaud et Roberso. Chacun de ces vallons est traversé par un ruisseau, qui en emprunte le nom et se jette dans le Germanasca.

    Tout comme pour les autres communes montagnardes du Val Germanasca, l'économie de Massello repose (ou plus exactement reposait) sur l'élevage des moutons et sur l'agriculture. Seigle, pommes de terre et foin sont les principaux produits provenant du travail de la terre. Le beurre, la tome et le "seirass" dérivent par contre de la production laitière. L'élevage des veaux a revêtu une certaine importance.

    Le territoire se caractérise donc (ou plus exactement se caractérisait) par des prés cultivés (ceux de Culmian sont particulièrement suggestifs) et des bois (surtout des mélèzes, des hêtres et des bouleaux).

     

    Les activités minières d'extraction de talc et (il y a très longtemps) de la pyrite (minière du Beth) qui ont désormais disparues, complétaient à cette économie de subsistance. L'activité des bûcherons avait également son importance.

    Pour finir, signalons la présence, sur le territoire de Massello, de fascinantes incisions rupestres (par exemple celle de l'Élan dans la région de Lauzun).

     

    Balsiglia après l'inondation de 1908 (Note de Doriane : village et année de naissance de ma grand-mère paternelle)

    L'histoire

    Bien qu'elle soit excentrée et que la densité de sa population soit faible, la commune de Massello occupe une place essentielle dans l'histoire vaudoise et dans les guerres pour la liberté de conscience menées dans les vallées, une place qui, au XVIIe siècle, lui valut une renommée européenne liée à deux circonstances particulières que nous rappellerons ici.

    L'origine de son nom dérive probablement de la tribu des "Magelli" qui, de la plaine de Pinerolo, a du s'avancer jusqu'à l'extrémité occidentale du Val Saint Martin (actuel Val Germanasca) pour exploiter les pâturages et le bois.

    dérive probablement de la tribu des "Magelli" qui, de la plaine de Pinerolo, a du s'avancer jusqu'à l'extrémité occidentale du Val Saint Martin (actuel Val Germanasca) pour exploiter les pâturages et le bois.

    Nous ne savons que peu de choses sur les premiers siècles de la "ville de Massello".

    Son nom n'apparaît de façon certaine qu'en 1347, lorsque les comtes de Savoie réussirent à acquérir auprès de Guillaumin de Saint Martin, une grande partie de la vallée qui comportait les villes de Balziglia et de Massello, destinées à devenir les deux centres habités plus importants : le premier était probablement de nature pastorale, et le second surtout agricole.

    Les anciens habitants furent soumis aux différentes familles qui dominèrent la vallée : à l'Abbaye di San Verano (ou Saint Véran), près de Pinerolo, pour les alpages du Pis, de Lauzun et de Rabiur (v. alpages), aux Saint Martin d'abord, aux Trucchetti ensuite, et aux Vibò, qui furent les seigneurs de la vallée, plus ou moins dès le début du XVIe s.

    Mais ce dont nous sommes certains c'est que, vers la moitié du XVe siècle, dans la vallée de Saint Martin, commençaient les premières persécutions documentées contre les Vaudois et les premiers bûchers étaient allumés ... et les procès pour hérésie, comme affirme Gabotto, " démontrent irréfragablement que vers la moitié du XVe siècle, il y avait déjà des Vaudois au Val Saint Martin".

    Tandis que pour ce qui concerne les persécutions de 1560-1561 et de 1655, Massello a eu tout compte fait un rôle assez marginal, ce qui n'a pas été le cas pour les guerres de 1686 et de 1689-1690.

    La Balsiglia. Gravure ancienne extraite de "Beattie" 1838. .

    C'est avec ces deux circonstances, parmi les plus tragiques de l'histoire vaudoise, que le nom de Massello s'inscrit dans l'histoire, en tant que personnification, si l'on peut dire, de l'héroïque esprit de résistance, de courage et de foi, du peuple vaudois tout entier. C'est pourquoi nous croyons qu'il est utile de rappeler avec simplicité les deux évènements dont ce vallon alpin fut le théâtre (et desquels il peut être fier).

    Qu'il nous soit donc permis de rappeler brièvement les faits qui s'y rapportent directement, afin de mieux comprendre la grande importance stratégique qu'a eue Massello dans le passé.

    Après la révocation de l'Édit de Nantes, le roi de France, allié de Victor Amédée II, Duc de Savoie, décida de chasser les Vaudois de leurs vallées. Le général Catinat fut chargé de cette opération au Val Saint Martin.

    Entre le 22 avril et le 1e mai de l'an 1686, environ 4.000 dragons français avaient lancé leur attaque dans la basse vallée de Saint Martin tandis qu'autant de soldats du Duc de Savoie, avec une furieuse ardeur destructrice, attaquaient Angrogne en Val Luzerne.

    Le 28 avril, un dimanche, toute la population de la vallée de Saint Martin, ainsi que celle du Val Pellice, s'était rendue pour avoir la vie sauve : sauf la communauté de Massello, obstinément décidée à résister et à se défendre jusqu'à la mort.

    La Balsiglia pendant l'attaque - gravure ancienne extraite de "Beattie"

    Le colonel Catinat conduisit personnellement 2.000 hommes contre ces derniers obstinés de la foi et de la patrie, réfugiés sur les contreforts escarpés qui dominent Balziglia, en les attaquant sur trois flancs simultanément. Pendant toute la journée du 3 mai, il tenta en vain d'en finir avec ces intrépides, réfugiés "sur une montagne imprenable surnommée le Château". Après cet échec, Catinat se retira aux Chiotti et chargea le Colonel De Magny de la poursuite des opérations.

    Le siège de la Balsiglia.

    Ce dernier, à la tête de 600 soldats d'élite, attaqua les Vaudois en quatre points différents : mais il essuya lui aussi un échec qu'il dût avouer à son général.

    Ainsi, pour sauver sa réputation, Catinat prit la route de Balziglia pour la seconde fois, décidé à en finir une fois pour toute avec ces obstinés. Mais la pluie et un brouillard épais enveloppaient le Pelvu et le contraignirent à faire marche arrière et à reporter sa vengeance à des temps plus propices. Celle-ci put s'accomplir le 17 mai, lorsqu'avec 550 hommes soigneusement choisis, il prit pour la troisième fois la route de Massello, avec la ferme intention de dénicher et d'anéantir ces valeureux combattants.

    Il resta deux jours sur les lieux, et réussit à surprendre d'en haut cette poignée de vaillants et à attaquer de tous côtés la position défendue par les Vaudois qui ne purent trouver aucun refuge. Ils furent tous massacrés : les hommes, les femmes et les enfants, environ 60 personnes. Il n'y eut qu'un seul prisonnier qui fut pendu sur l'ordre de Catinat. Tout était donc fini. Et Catinat, qui au début de juin se trouvait encore aux Chiotti, pouvait finalement se rendre à Casale, où l'attendaient ses devoirs de commandant général de toutes les troupes françaises en Italie.

    Quatre ans après, Massello se trouve de nouveau au centre d'événements guerriers mémorables, dont on peut lire les détails dans le livre d'Arnaud, intitulé "La Glorieuse Rentrée". Il s'agit de l'épisode le plus héroïque de l'histoire vaudoise et de l'un des plus connus. En voici quelques traits essentiels.

    De retour dans leurs vallées après deux ans d'exil en terre helvétique, les Vaudois furent de nouveau attaqués par les troupes du Duc de Savoie et par les Français aussi bien dans le Val Pellice que dans le Val Saint Martin. Au mois d'octobre 1689, à l'approche de l'hiver, un groupe d'un peu plus de trois cents individus se réfugia sur la hauteur rocheuse surnommée le Château, qui domine Balziglia. A cause du froid intense et de la neige tombée au début de novembre, les Français se retirèrent à Perosa et à Pinerolo tandis que les Vaudois se mettaient fiévreusement à fortifier l'arête qui, du Château, s'élève jusqu'au Bric de l'Autin.

    Les tours de garde et les incursions en Val Queyras et dans le Dauphiné dans le but de se procurer des approvisionnements pour l'hiver qui arrivait précocement, s'alternaient à ce travail massacrant. Le soutien moral et spirituel était assuré par chef militaire Henri Arnaud.

    Le 29 avril de l'an 1690, le futur maréchal de France, Catinat, comme nous l'avons vu, connaisseur des lieux et confiant en une victoire facile, partit de Pinerolo pour Balziglia. Le 2 mai, à la tête de 4.000 hommes, il attaqua les 370 rescapés Vaudois : mais il fut repoussé au milieu d'une tempête de neige en perdant 200 soldats et 20 officiers ; du côté des Vaudois, un seul blessé.,

    (Note de Doriane : La légende folklorique raconte qu’un vaudois, le fameux Tron-Poulat, dans sa fuite, lâcha son précieux chaudron pour polenta, déclenchant une avalanche qui décima les troupes de Catinat)

     

    S'étant retiré à Pinerolo après cet échec, Catinat confia à De Feuquières la mission d'anéantir "cette canaille". Dans ce but, le nouveau commandant fit ouvrir des routes pour transporter des canons, estimés nécessaires pour démanteler les misérables fortifications des assiégés.

    Et le 22 mai, lorsque tout fut prêt, les 5 canons commencèrent à gronder avec les espingoles, les fauconneaux et les arquebuses de plus de 4.000 Français. Le Château et les retranchements suivants furent forcés d'en bas tandis que les dernières positions fortifiées par les Vaudois furent occupées d'en haut ; à la fin d'une journée très dure, les Vaudois furent contraints vers le centre de l'arête, sur ledit "Pain de Sucre" (Pan di Zucchero).

    Le soir même, De Feuquières, enivré par le succès, et anticipant les événements, écrivit : "... le roi est Maistre de tous les retranchements de cette canaille", comme l'avait déjà appelée Catinat avec mépris auparavant. Comme en d'autres circonstances survenues pendant sa longue lutte pour l'existence, grâce à un brouillard providentiel qui précipita et augmenta l'obscurité de la nuit, grâce à la présence du capitaine Tron-Poulat, originaire de ces lieux, grâce aussi peut-être au relâchement de la surveillance d'un ennemi orgueilleux et trop persuadé d'avoir piégé définitivement ces montagnards entêtés, ladite canaille réussit miraculeusement, à la faveur de la nuit, à filer en douce à travers les mailles de la surveillance française, mortifiant ainsi le marquis De Feuquières, de la même façon qu'elle l'avait fait trois semaines auparavant avec l'illustre Catinat.

    Les Vaudois étaient saufs, le Duc était en train de changer de politique et passait à la Lega di Augusta contre la France de Louis XIV.

    Le siège des Vaudois sur les monts de Balziglia a toujours été considéré comme un évènement d'une extraordinaire importance politique et d'une gloire militaire incomparable. Qu'une poignée de moins de 450 hommes ait pu résister en plein cœur de l'hiver, au-dessus de 1.500 m d'altitude, dans un pays complètement détruit et bloqué de toute part par l'ennemi, puis échapper à une double attaque de la part des troupes les plus endurcies et les mieux armées d'Europe en n'accusant que peu de pertes (troupes dix fois supérieures en nombre et guidées par les meilleurs généraux de France), a toujours été jugé comme un fait exceptionnel et digne d'une gloire impérissable. C'est pour cela que le nom de Balziglia est passé dans l'histoire, tout comme le Col des Termopili (Note de Doriane : Tiens donc, nous y revoilà ! Passant, va dire à Sparte que nous sommes tous morts ici pour obéir à ses lois. (Inscription sur le tombeau des 300 Spartiates et de leur roi Léonidas, trahis par Ephialte, tombés jusqu'au dernier sous les coups des troupes perses de Xerxès au défilé des Thermopyles, 480 av. J.C.)) ou comme le Rocher de Montségur.

    Les évènements survenus après dans la commune de Massello sont eux-aussi importants mais ils pourront être approfondis en lisant les deux textes desquels nous avons extrait (presque copié) cette synthèse, c'est-à-dire : T.G. Pons, Massello, Claudiana, 1958 et T.G. Pons, Massello nella storia valdese (Massello dans l'histoire vaudoise - n.d.t.), Pro Valli, s.d.

    Nous nous limiterons à rappeler, pour ce qui concerne Massello au XVIIIe siècle, l'occupation des troupes françaises, au temps de la guerre de succession espagnole, et la constitution de la "Repubblica del Sale" en Val Saint Martin, pendant laquelle les habitants purent pratiquer librement leur religion réformée (1704-1708).

    Durant l'épopée napoléonienne, la vallée connut des mouvements de milices paysannes pour la défenses des cols de frontière.

    Après la concession des droits civils aux Vaudois, avec les lettres patentes de Charles-Albert en 1848, la population de Massello participa avec les autres italiens aux affaires de la patrie commune. Les plaques commémoratives apposées sur la façade de l'antique presbytère pour célébrer les soldats tombés pour la commune, témoignent de la contribution de la bourgade Reynaud aux deux guerres mondiales du siècle dernier.

    Au cours des années de la Résistance, le Vallon a été le théâtre de plusieurs opérations militaires et de ratissages ayant coûté la vie de civils et de partisans, parmi lesquels Enrico Gay et Dario Caffaro, tombés aux bergeries de Ghinivert.

     

    D’après http://www.comune.massello.to.it/

     

  • Petite histoire des origines d'un pur athée (voire d'un pur raté?)

     

     

    Les Vaudois

    (Résumé de l'Histoire de l'Eglise Vaudoise)

     

     

    1) Les origines et les premières répressions

    2) Le refuge piémontais

    3) 14e siècle et début du 15e siècle : Inquisition, répressions, adhésion à la réforme

    4) 15e siècle :La contre réforme, procès et massacres

    5) La peste de 1630

    6) Fin du 16e siècle : le paroxysme de la répression. Les Pâques piémontaises

    7) La débâcle et l’exil après la Révocation de l'Edit de Nantes (1685)

    8) La Glorieuse Rentrée

    9) Le Ghetto, dernières brimades, début d'une lente et difficile reconstruction

    10) Le 19e siècle : Vers l'émancipation

     

     

     

    Les lignes qui suivent sont empruntées dans une large mesure du livre de Georges TOURN : "Les Vaudois - L'étonnante aventure d'un peuple-église". C'est un résumé succinct d'avantage tourné vers les aspects historiques que religieux et théologiques.

     

     

    1) 12ème et 13ème siècles : Les origines et les premières répressions

     

     

    Le mouvement des Pauvres de Lyon fut fondé aux environs de 1170 par un riche marchand de Lyon, Pierre Vaud (ou Valdo) qui donna son nom de "Vaudois" au mouvement (qui n'a donc rien à voir avec le canton de Vaud en Suisse). Valdo décida d'abandonner ses biens pour vivre dans la pauvreté et la perfection évangélique, et regroupa bientôt autour de lui une petite communauté qui se voulait semblable à celle des apôtres. Les Vaudois veulent à la fois rester des laïques associés à la vie de leur ville et prêcher, non pas pour enseigner de nouvelles doctrines mais pour exhorter leurs concitoyens à une vie authentiquement chrétienne, à la repentante et à la pratique des bonnes œuvres. D'abord accueillis favorablement, les Vaudois allaient bientôt se heurter à l'église, sur le droit à la prédication et à la lecture de la bible en langue vulgaire. Quant le moment arrive où la hiérarchie leur interdit toute activité laïque susceptible d'échapper à son contrôle, Valdo et "les Pauvres" refusent d'obéir. Expulsés de Lyon, non condamnés mais suspectés, ils partent poursuivre leur mission vers le Languedoc, entrent en contact avec la dissidence Cathare et se heurtent à elle en déployant une grande activité polémique. Les idées de Valdo se répandent en Occitanie, sur les terres de l'Empire et en Lombardie. Confronté aux positions de plus en plus radicale du mouvement, le pouvoir ecclésiastique décide de le liquider comme les autres dissidences. Au milieu du XIIIème siècle, mis hors la loi, le Valdéisme est contraint de quitter les agglomérations urbaines pour s'établir dans des régions rurales. Dès lors et dans toute l'Europe, l'Inquisition va s'acharner sur les Vaudois. Vaudois devient même synonyme de sorcier et Vauderie de sorcellerie (Jeanne d'Arc fut ainsi condamnée comme "vaudoise"). Malgré cela, fidèles à leur devise "Lux lucet in tenebris", les communautés vaudoises parviennent à se maintenir, par exemple dans "le bastion des Alpes".

     

    2) Le refuge Piémontais

     

    Les Vaudois trouvèrent des conditions de vie très favorables dans les vallées qui s'ouvrent au sud du Montgenèvre, de part et d'autre des Alpes Cottiennes. Cette zone, qui allait devenir le seul refuge de l'église Vaudoise, ne fut d'abord qu'un des nombreux territoires visités par les missionnaires et propagandistes vaudois. Sans être située à l'écart du monde puisque traversé par la grande voie de communication du Montgenèvre reliant la Provence et la Lombardie, le territoire des Alpes Cottiennes se trouve à la périphérie des zones stratégiques de la carte politique européenne de l'époque. De plus il est politiquement divisé entre le Dauphiné, fief impérial passé sous domination française au XIVème siècle, et les domaines de l'abbaye de Pignerol ou de la famille de Luserne qui seront rattachés au duché de Savoie. Il dépend des évêchés de Turin et d'Embrun dont les limites ne coïncident pas avec les frontières politiques. Les vallées formaient cependant une région culturellement homogène, par la langue, les us et l'économie et avaient été dépeuplées par les invasions sarrasines. C'était donc un lieu de refuge idéal pour des dissidents cherchant à se soustraire à l'Inquisition.

     

    3) 14ème siècle et début du 15ème : Inquisition, répressions, adhésion à la réforme

     

    Mais les papes ne peuvent tolérer un foyer d'hérésie aussi dangereux, à proximité de leur nouvelle résidence en Avignon. Benoît XVII, ancien inquisiteur du Languedoc, intervient auprès des évêques d'Embrun et du dauphin Humbert II et les inquisiteurs multiplient de la deuxième moitié du XIVème siècle jusqu'à la fin du XVème, les procès, arrestations, confiscations de biens, condamnations au bûcher. Il y a cependant des accalmies relatives dans cette persécution quand l'attention de la cour d'Avignon est retenue par le mouvement hussite en Bohème ou quand en 1475 Louis XI, dans sa politique antiféodale, prend la défense du petit peuple dauphinois (qui par reconnaissance appelle une des vallées la Vallouise). Dans les années 1487 à 1489, la répression, dont le caractère se fait de moins en moins théologique et de plus en plus fiscal, dans un climat de corruption et d'intérêts opposés, s'intensifie quand Charles Ier, fils de Louis XI déclare la guerre aux Vaudois. Les armées qui s'affrontent, principalement dans la vallée d'Angrogne, sont un ramassis de soldats mal armés face aux manants vaudois aussi mal armés mais prêts à tout. Avec l'intervention du gouverneur de Savoie qui agit avec le consentement du roi de France Charles VIII et du pape Innocent VIII, la répression prend l'ampleur et la cruauté d'une véritable croisade. Une bataille ouverte à Prali, près de Perrero, oblige les assaillants à se retirer, mais les combats continuent se poursuivent sur le versant français avec le massacre de 3000 Vaudois ayant trouvé refuge dans la grotte de la Balme-Chapelue. Les rescapés sont contraints d'abjurer. Tous ces événements dramatiques n'empêchent pourtant pas les Vaudois de continuer au début du XVIème leur action de propagande notamment en utilisant l'imprimerie inventée depuis peu pour imprimer la première bible en langue vulgaire. C'est à cette époque également qu'ils vont se rapprocher du mouvement que Luther vient de lancer en envoyant plusieurs de leurs barbes en missions exploratoires en Suisse et en Allemagne. Cela aboutira en 1532, lors du synode de Chanforan à Angrogne, à l'adhésion à la Réforme.

     

    4) 15ème siècle : La contre réforme, procès et massacres

     

    La propagation de la réforme dans le Piémont va être favorisée par l'éclatement du duché de Savoie, occupé par les Français en 1536. Protégés à l'intérieur et appuyés de l'extérieur par les Suisses et les princes protestants allemands, les Vaudois transforment leurs vallées en une sorte de zone de sécurité et une base d'action pour le mouvement réformé piémontais. L'organisation des églises protestantes et, à partir de 1555, la construction des premiers temples à St Laurent d'Angrogne, à La Tour, à Rocheplate, à Villesèche et à Prali sont le résultat de cet élan missionnaire nouveau que la répression déclenchée par les parlements de Turin et de Grenoble n'est pas en mesure d'arrêter. Les prédicateurs et colporteurs vaudois qui distribuent livres et opuscules sont pourtant activement poursuivis et souvent arrêtés pour être ensuite voués au bûcher. C'est le cas du français Barthélémy Hector, qui sur les hauteurs de Riclaret, tombe entre les mains des Trucchieti, seigneurs du Perrier (Perrero) en 1557. Dans d'autres régions, la répression sera beaucoup plus féroce : en Provence c'est le massacre de 2000 Vaudois du Lubéron à Mérindol (et l'envoi de 700 d'entre eux aux galères) et en Italie du Sud, l'éradication totale à partir de 1561 de la colonie vaudoise de Calabre dont les membres sont massacrés ou vendus comme esclaves aux Maures, un endoctrinement implacable par les jésuites se chargeant de convertir les survivants.

    En 1559, la France et l'Espagne signent la paix de Cateau-Cambrésis : l'Empire est divisé, les rois de France faibles et c'est l'Espagne catholique de l'intransigeant Philippe II de Habsbourg qui sort gagnante ; le traité marque l'engagement de reconquérir l'Europe à la foi catholique romaine. Emmanuel Philibert de Savoie qui rentre dans ses états ravagés ne peut que s'aligner sur la politique espagnole et prend des mesures répressives mais surtout à l'encontre des petites communautés isolées de la plaine. Aux paysans vaudois des vallées, bien organisés et qu'il n'a pu vaincre par la campagne militaire de 1560-1561, il doit concéder le traité de Cavour (5 juin 1561) par lequel il les autorise à célébrer des cultes publics dans les localités les plus éloignées de la plaine (Angrogne, Villesèche, Les Coppiers).

    C'est en effet en grande partie à sa situation politique et géographique que la zone vaudoise doit de pouvoir résister à la très forte pression de la Contre-Réforme : territoire de montagne peu peuplé, difficile à contrôler, région de frontière sous la menace d'une invasion française, adossée au Dauphiné, coincée entre le marquisat de Saluces et le val Pragela (haute vallée du Cluson) tous deux sous la domination française, les vallées vivent des années de tranquillité relative. Les guerres de religion qui déchirent la France ne produisent que des effets marginaux. L'équilibre est pourtant fragile. En 1588 Charles Emmanuel de Savoie conquiert le marquisat de Saluces, provoquant un exode des réformés vers les vallées vaudoises, le Dauphiné ou vers la nombreuse colonie piémontaise de Genève. Inversement, Lesdiguières gouverneur du Dauphiné envahit Pignerol, Cavour et les vallées vaudoises qu'il contrôle pendant quelques années. Entre-temps les protestants ont définitivement conquis la vallée de Pragela puis réussissent à gagner au protestantisme le dernier vallon encore catholique des vallées vaudoises, celui de Pramol.

    La promulgation de l'Edit de Nantes en 1598 par Henri IV qui met fin à la guerre de religion en France fige du même coup la situation au Piémont.

     

    5) La Peste de 1630

     

    En 1630, la peste survient dans les vallées vaudoises. Les premières victimes meurent en mai, la maladie touche le Val Pélis en Juillet et se déchaîne avec une extrême violence durant l'été : morts s'entassant dans les rues, maisons abandonnées et pillées, récoltes, moissons et vendanges non faites, alternance de scènes de dévotion, cruauté, superstition et dévouement. La peste eut d'énormes conséquences sur la vie des Eglises Vaudoises. Tout d'abord, elle entraîna une importante diminution de la population, 8500 à 9000 victimes. Tous les villages situés haut dans la montagne furent abandonnés et transformés en alpages, des familles entières s'éteignirent. 11 des 13 pasteurs disparurent et les nouveaux ministres appelés d'urgence de Genève remodelèrent les églises sur le schéma genevois modifiant les traditions du modèle vaudois. Autre facteur important : l'abandon de la langue italienne autrefois en vigueur dans la vie des églises parce que correspondant au bilinguisme de la population et favorisant l'expansion de la Réforme dans le reste du Piémont. Les nouveaux pasteurs ne parlant que le français, celui-ci devint la langue officielle des Eglises Vaudoises et le resta jusqu'à la seconde moitié du XIXème siècle. Ce facteur renforcera l'isolement des Vaudois par rapport à leur entourage hostile.

     

    6) Fin du 16ème siècle : le paroxysme de la répression. Les Pâques piémontaises

     

    C'est dans la deuxième moitié du XVIème siècle de 1655 à 1690 que se situe la période la plus dramatique de l'histoire vaudoise. En France le parti protestant est affaibli par la chute de La Rochelle et la paix d'Alès de 1629 qui lui enlève les privilèges militaires et politiques obtenus par l'Edit de Nantes. L'église catholique a le monopole de l'enseignement et contrôle de fait la vie de chacun. Au Piémont la régente Christine, veuve de Charles-Emmanuel Ier, est d'une part la sœur de Louis XIII et par-là sensible à la politique française, d'autre part la belle sœur du roi d'Angleterre Charles Ier qui vient d'être exécuté par la révolution puritaine. Comme tous les monarques catholiques, elle pense que la répression devient une nécessité historique.

    Dans les vallées, les incidents se multiplient. Les Eglises du Pragela rattachées au Dauphiné sont les premières frappées, les Jésuites et le prieur de Mentoulles obtiennent la restitution des lieux du culte, des biens ecclésiastiques et le paiement des dîmes. Les contingents de troupes s'amassent les troupes ducales comptent 4000 hommes renforcés des milices communales. Leur chef le marquis Pianezza impose aux Vaudois de loger ces troupes. Mais l'occupation des villages dégénère rapidement en un véritable massacre, épisode connu sous le nom de "Pâques piémontaises". Le 24 Avril 1655, les troupes ducales prennent d'assaut le Pra de la Tour où la population s'est réfugiée et le mettent à sac. Les villages de Villar et Bobbi sont à leur tour réduits à des tas de ruines dans les jours suivants. Les mêmes scènes se répètent identiques partout : on massacre les populations, on la torture avec sadisme, les rescapés se réfugient dans la montagne et tentent d'organiser la résistance comme Josué JANAVEL qui retient quelques jours les assaillants de Rora. Mais la campagne de Pianezza se poursuit sans pitié : après la chute de Rora il se dirige vers le val Cluson. Le gouverneur français de Pignerol permet aux Vaudois pourchassés de se réfugier sur les terres françaises dans la vallée de Pragela. Le 8 Mai toute la vallée du Val Germanasca fait acte de soumission et Prali se rend le 10 Mai. LEGER, l'un des chefs Vaudois, réfugié en France annonce à l'Europe protestante que le bastion vaudois est tombé et il parvient à mobiliser l'opinion et à susciter les protestations des états protestants comme l'Angleterre. La lutte continue avec le renfort de volontaires huguenots. rafles, pillages, embuscades se succèdent. JANAVEL gravement blessé doit se retirer tandis que JAHIER, chef de la bande de Pramol est tué. Le duc de Savoie doit pourtant céder à la pression internationale et des pourparlers s'engagent qui conduiront à un accord sous forme d'un édit ducal qui reconnaît le droit des communautés vaudoises à l'existence. Ces "Patentes de grâce" ne sont qu'un armistice pour rassurer l'opinion publique. Les Vaudois ont réintégré leur bastion mais restent sous la menace des catholiques. Ils subissent des violations constantes de l'accord : réquisition des terres, rapt d'enfants, procès. Cette pression vise à faire plier la résistance de la population ou provoquer sa réaction comme cela finit par se produire dans les vallées vaudoises. La situation se dégrade et aboutit à un soulèvement populaire. La guérilla se rallume, Janavel et ses bandes multiplient les coups de main contre les bourgs catholiques. La population civile déçue et fatiguée de supporter le poids de la guerre se désaffectionne des maquisards. Janavel et ses hommes sont priés de se retirer pour permettre la recherche d'une paix négociée. De nouvelles "Patentes" confirmant celles de 1655 sont publiées en 1664 ; elles n'excluent de l'amnistie générale que les "bannis" condamnés à l'exil. Janavel, l'ancien paysan, gère un bistrot à Genève tandis que Leger après avoir erré à travers l'Europe finira ses jours à Leyden où il édite en 1669 "L'Histoire générale des églises Evangéliques du Piémont".

     

    7) La débâcle et l'exil après la Révocation de l'Edit de Nantes (1685)

     

    En France, cependant, Louis XIV qui se veut grand champion de la chrétienté, a de plus en plus de peine à tolérer les protestants. Après des années de répression légales, de violences exercées par les trop célèbres dragons, Louis XIV en arrive en 1685 à la révocation de l'édit de Nantes. Les huguenots ne se soumettent pas et s'exilent dans les pays protestants, Hollande, Allemagne, Angleterre. La révocation s'étend naturellement aux possessions françaises cisalpines, Val Pragela et Val Cluson. Le culte protestant est interdit, les temples sont détruits ou reconsacrés au culte catholique. Un grand nombre de familles choisissent l'exil. En janvier 1686 le duc Victor Amédée II cédant aux pressions exercées par son oncle Louis XIV émet un édit bannissant les pasteurs, interdisant les cultes, imposant le baptême catholique de tous les enfants. Une nouvelle fois des troupes, les dragons français du maréchal Catinat basés à Pignerol, se préparent à intervenir. Les Vaudois hésitent entre l'exil et la résistance armée mais optent pour cette dernière solution. Catinat intervient et en une guerre éclair de trois jours anéantit les défenses vaudoises. Le 3 Mai 1686 c'est la capitulation. Les derniers résistants sont traqués et exécutés, tandis que les colonnes de prisonniers sont emmenées hors des vallées.

    La communauté vaudoise comptait environ 14000 âmes au début des hostilités : plus de 2000 ont péri, 8500 prisonniers remplissent les prisons piémontaises, les autres ont survécu grâce à l'abjuration plus formelle que réelle de leur foi. En effet, à peine les troupes se sont-elles retirées que les rescapés sortent de leurs caches et reprennent la guérilla selon la technique que Janavel leur a enseigné dans ses "Instructions militaires", série de conseils pratiques pour la défense des Vallées. Un nouveau compromis permettra aux rebelles de s'exiler avec leurs familles. Le duc de Savoie espère repeupler les vallées ainsi désertées en revendant les terres confisquées aux Vaudois à des agriculteurs catholiques. Mais il y a encore trop de Vaudois fugitifs qui rentrent chez eux et l'on ne peut se fier à ceux qui ont abjuré. Parmi les prisonniers acheminés vers Turin, c'est la décimation par la maladie, le froid et les mauvais traitements. Venise achète littéralement 2000 d'entre eux pour ses galères. D'autres connaîtront un sort similaire en France. Les reconvertis au catholicisme sont quant à eux destinés à aller peupler la région agricole de Verceil (Vercelli) dans la plaine du Pô.

    Que faire des récalcitrants ? Un premier édit ducal (9 avril 1686) envisage le bannissement, mais les vaudois refusent de partir. Un deuxième (janvier 1687) est obtenu grâce à une médiation suisse. Le Duc de Savoie concède l'expatriation aux prisonniers qui le désirent, en exigeant toutefois qu'ils soient dirigés vers les cantons du nord, non limitrophes de ses états et que les pasteurs restent comme otages à Turin.

    C'est ainsi que s'ouvre une des pages les plus douloureuses de l'histoire des Vaudois : la longue marche en plein cœur de l'hiver, par le Val Suse et le Mont Cenis, de centaines de rescapés des "camps de concentrations" piémontais, femmes, vieillards et enfants en route vers l'exil et la liberté. La première des 13 colonnes part le 13 Janvier 1687, la dernière arrive à Genève le 13 Mars. 2490 personnes sur les 2700 ayant opté pour l'exil parviennent à Genève. Les autres sont morts en route. Les Genevois accueillent fraternellement les réfugiés victimes de ce premier exil des Vaudois et qu'ils considèrent comme des martyrs. Malgré cela ils ne parviennent pas à s'intégrer ; ils ne rêvent que de revoir leurs vallées et font dès 1687 des tentatives de retour qui échouent.

     

    8) La Glorieuse Rentrée

     

    Cependant, le nouveau roi d'Angleterre, Guillaume III d'Orange le prince protestant hollandais qui a renversé Jacques II, réunit une coalition protestante contre Louis XIV. C'est dans ce contexte qu'il projette puis organise avec les Vaudois en exil une opération militaire pour ouvrir en Piémont un foyer de guérilla derrière les lignes de Catinat. Un corps expéditionnaire d'un millier d'hommes dont 60 % de Vaudois prépare soigneusement et clandestinement l'opération. A la mi-août 1689, le "commando" traverse de nuit le lac Léman et couvre les 200 km qui le sépare des vallées vaudoises à marches forcées et en empruntant un itinéraire peu fréquenté mais difficile. Cette marche, passée à l'histoire sous le nom de "Glorieuse Rentrée", est une des pages les plus connues de l'histoire des Vaudois. La surprise, la rapidité d'exécution et le trajet insolite permettent à l'expédition de ne pas être repérée par les troupes françaises. Un seul affrontement a lieu dans la vallée de Suze le 23 Août et se solde par une victoire vaudoise mais au prix de lourdes pertes. A l'approche de la troupe, les populations catholiques qui se sont installées dans les vallées abandonnent les villages pour se réfugier dans la plaine. Le Val Germanasca est libéré sans coup férir. Le corps expéditionnaire a perdu 30 % de ses effectifs, tombés aux mains de l'ennemi ou abandonnés en chemin pour ne pas ralentir la marche. Les rescapés s'organisent et rouvrent leur culte dans les temples libérés.

    Catinat tente bien d'éliminer les vaudois avant qu'ils ne s'installent solidement mais n'y parvient pas avant l'hiver et doit abandonner les bandes vaudoises à leur bastion sur les escarpements qui dominent le village de Balziglia (Basille) au fond du vallon de Masselo dans la vallée de la Germanasca. Les mois de guérilla et de solitude menacent de désintégrer la troupe, les huguenots français ont déserté, il ne reste que 300 Vaudois dont Henri ARNAUD prend le commandement. Le 2 Mai 1690 4000 dragons de France tentent de déloger les 300 maquisards retranchés dans la montagne. Après deux jours de combats furieux, acculés sur les hauteurs, les survivants attendent l'assaut final pour le lendemain, quand, à la faveur de la nuit et du brouillard qui par chance les masque à la vue de leurs adversaires, ils parviennent à se dérober et à se faufiler entre les lignes françaises.

    Quelques jours plus tard, un renversement inattendu de situation en faveur des vaudois se produit lorsque Victor-Amédée II de Savoie rompt son alliance avec la France pour passer dans le camp de l'Angleterre et de l'Autriche. Les vaudois sont saufs, les pasteurs peuvent enfin sortir de prison, les exilés rentrent d'Allemagne et de Suisse et la communauté bien que décimée se reconstitue. Le Piémont est maintenant sous l'influence de la diplomatie anglaise et le Duc se voit contraint de publier en 1694 un édit de tolérance qui garantit désormais l'existence des vaudois sur leurs terres.

     

    9) Le Ghetto, dernières brimades, début d'une lente et difficile reconstruction

     

    Les malheurs des vaudois ne sont pas finis pour autant ! Ce que des décennies de guerre n'avaient réussi à faire, la raison d'état de la maison de Savoie va le réaliser : en un peu plus de vingt ans, le monde protestant en Italie va perdre plus de 50 % de ses territoires et environ 60 % de sa population. Cela débute par la vallée du Cluson, dans laquelle s'étaient établies de nombreuses familles huguenotes notamment après la révocation de l'Edit de Nantes. Le traité de Ryswick (1697) rend le Val Cluson, conquis autrefois en 1630 par les français avec Pignerol, au duché de Savoie. Par une clause secrète, le Duc s'engage à expulser du territoire tous les réformés. Trois mille personnes, touchées par cette décision qui provoque le deuxième exil des Vaudois, devront s'installer en Allemagne où elles maintiendront jusqu'au début du XIXème siècle leur confession et la langue française. Dans la vallée de Pragela, la politique répressive reprend après le traité d'Utrecht en 1713 et se traduit par la limitation de la liberté de culte : interdiction des assemblées de plus de 10 fidèles, obligation en 1721 de baptême catholique des nouveau-nés et finalement en 1730 un édit prescrit à tous les habitants de la vallée de professer la foi catholique et interdit toute manifestation publique et même privée de la religion réformée. Du coup, malgré une résistance obstinée, des centaines de familles abandonnent la Vallée pour s'établir en territoire protestant spécialement en Suisse et aux Pays-Bas.

    Quarante ans après la "Glorieuse Rentrée", les Vallées vaudoises ne sont plus qu'un minuscule ghetto, isolé, replié sur lui-même. Les Vaudois s'efforcent pourtant à reconstruire leur monde : réunir les familles éparpillées par l'exil et les guerres, rebâtir les villages, reconquérir leurs champs sur les broussailles. La pression sur la communauté n'est plus militaire certes mais ne se relâche pas et un filet d'interdictions enserre les vaudois : restriction du nombre de communes où les religionnaires sont tolérés, interdiction des mariages entre catholiques et "hérétiques" sauf bien sur en cas de conversion effective de ces derniers, interdiction aux ouvriers et manœuvres de travailler de manière permanente pour les catholiques, défense faite d'enterrer leurs morts dans les cimetières catholiques et de les accompagner à plus de six personnes. Un organisme de prêts est créé pour permettre aux catholiques d'acquérir les terres des vaudois, ainsi qu'un "Hospice des Catéchumènes" pour éduquer les enfants vaudois qui abjurent. Des églises sont construites en territoire vaudois pour des paroisses catholiques, parfois réduites au seul curé. Les catholiques même minoritaires se voient attribuer la majorité dans les conseils communaux. En réponse à cette politique répressive, la communauté protestante européenne aide les Vaudois en envoyant des fonds pour permettre l'éducation des enfants dans les vallées et à l'étranger.

     

    10) Le 19ème siècle : Vers l'émancipation

     

    Les Vaudois voient enfin leur horizon s'éclaircir avec la révolution française puis l'Empire napoléonien. Le ghetto disparaît. Les lois leur reconnaissent le droit de professer leur foi sans discriminations, d'acheter les terres qu'ils ont défrichées pendant des siècles comme domestiques. Leurs enfants ne seront plus enlevés pour être élevés dans la religion catholique. Les biens des églises catholiques sans fidèles sont attribués au culte protestant et les pasteurs deviennent des fonctionnaires d'état !

    Avec la restauration du royaume de Piémont-Sardaigne, une nouvelle période de brimades s'installe : ainsi le temple de St Jean doit être caché par une palissade pour ne pas offenser les catholiques de la bourgade ! Cependant le plus dur est passé pour les Vaudois, l'inévitable libéralisation gagne du terrain. En quelques dizaines d'années Charles Beckwith, un ancien officier anglais parvient à faire de la communauté des vallées Vaudoises, une petite nation "autonome" indépendante avec ses caractères spécifiques, au sein du monde protestant européen. Il réussira à doter chaque bourgade vaudoise d'une école.

    Le 17 Février 1848, les Lettres Patentes rendent aux populations vaudoises les droits civils et politiques en leur donnant les mêmes droits qu'à tous les citoyens du royaume : droit à l'étude, à l'exercice de toutes professions, à l'achat de terres. Après des siècles de persécutions, l'événement est accueilli dans la liesse et l'enthousiasme, même s'il faudra encore longtemps pour que l'égalité décrétée deviennent réalité. La date du 17 février est depuis celle de la fête annuelle des Vaudois. C’est grâce à cette émancipation, qu’à partir du milieu du XIXème siècle les Vaudois ont pu commencer à quitter leur vallées et à émigrer pour se répandre dans le monde : en France notamment autour de Marseille, aux Amériques (Uruguay, Argentine, USA) ou plus exceptionnellement en Algérie.

     

    D’après http://perso.wanadoo.fr/jf.peyronel/index.htm