Spongiculture…
Sur des images sépia, un groupe de jeunes excités agitait leur mal de vivre en se secouant gaiement sur une scène sans public. Cris vindicatifs des guitares électriques. Le chanteur décharné, mais tout aussi acharné, se convulsait devant son micro en des positions extatiques. Rage de la jeunesse refoulée. Rage de vivre. Rage d'être vivant. Les corps s'extirpaient de leur gravité pour mieux voler, fulminer, s'entrechoquer dans un bruit vital. Le maître mot était vie, vie, vie ! ! ! La douleur n'était plus rien, seul le rythme et les décibels à outrance comptaient. Les corps et les âmes se fusionnaient dans cette musique noisy dans le but de tout oublier. L'oubli, c'est le but récurrent qu'ânonnait cette foule de corps tremblants. C'était le leitmotiv plénier. Je me retrouvai soudain dans cette marée humaine rafraîchissante et, basculé de droite à gauche, ma vision se limitant à apercevoir des flashs parcellaires, mon esprit se laissa aller à l'oubli total. Je ne savais plus où j’étais et cela me procurait des sensations intenses et uniques. Quel bonheur d'oublier sa vie, quel bonheur d'oublier sa mort ! Say a pray for me ! Je me sentais ballotté dans un maelström humain, le flot de corps à la dérive me portant un instant puis me noyant le moment d’après dans un pogo monstrueux. Des cheveux tournoyant, des yeux révulsés, des bras inertes, des corps pris de frénésie fiévreuse, des souffles haletants. Saturation du son, bruit confus de luttes amicales, sueur qui colle les cheveux sur les tempes, sourires crispés sur un solo déchirant de guitares électriques. Lutte entre la vie et la mort, lutte entre la jeunesse et la mort. Lutte vaine des souvenirs. Affirmation de ma souffrance récurrente. J’ai envie de mourir, j’ai envie d’oublier, j’ai envie de vomir tout simplement pour expulser ma peine, ma souffrance, ma torture. Gloire en le scélérat simple d’esprit : il ne côtoie pas le doute, les remords, le regret. Il vit dans le présent. Pas de futur, pas de passé. Quel pied que cette inconscience de sa mortalité et de son devenir… Le présent n’existe plus et mon esprit se perd dans mes souvenirs du futur. Paix illusoire de l'âme. Noire volonté de l'inconnu. La gestuelle émotionnelle de l'homme s'agite dans la pénombre de l'espace infini, inutile, troublante, déchirante. Des démons faussement ingénus contemplent cette agonie vacillante dans des fauteuils soyeux et propres…
Avec sa dégaine famélique de junkie ou de drug-shooting freak, Vinnie Dombrowski surfe sur plusieurs styles dans divers groupes :
la country avec The Orbitsuns,
le blues avec Chef Chris and his Nairobi Trio,
le rock avec Crud et Spys4darwin.
Mais il reste inégalable dans sa stature de leader excité et charismatique du groupe post-grunge Sponge. Sa voix fêlée retentit avec fébrilité dans ses divers albums :
Wax Ecstatic (1996),
New Pop Sunday (1999),
For All the Drugs in the World (2003),
The Man (2005),
l’album de référence restant pour moi le fameux Wax Ecstatic très noir, épuré et délicieux à l’oreille.
Le son authentique et original de Sponge est avant tout l’amalgame faussement anarchique de ses cinq membres qui viennent tous de Motor City alias Detroit : murs denses de guitares de Mike Cross and Joey Mazzola, cimentés par la basse de Tim Cross, fissurés par la voix de Vinnie Dombrowski et enfin complètement détruits par les drums combatifs de Jimmy Paluzzi puis de Charlie Grover, un style reflétant le Détroit postindustriel en crise, saccagé, ruiné, la ville des Stooges, violente, déglinguée, lézardée, flinguée. A voir, à contempler, à entendre, à écouter don d'une oreille attentive et spongieuse en lavant sa vaisselle musicale d’un coup d’éponge.
Doriane Purple